"Élévation et abaissement.
Une femme qui se regarde dans un miroir et se pare ne sent pas la honte de réduire soi, cet être infini qui regarde toutes choses, à un petit espace. De même toutes les fois qu’on élève le moi (le moi social, psychologique, etc.) si haut qu’on l’élève, on se dégrade infiniment en se réduisant à n’être que cela. Quand le moi est abaissé (à moins que l’énergie ne tende à l’élever en désir), on sait qu’on n’est pas cela. Une très belle femme qui regarde son image au miroir peut très bien croire qu’elle est cela. Une femme laide sait qu’elle n’est pas cela. Tout ce qui est saisi par les facultés naturelles est hypothétique. Seul l’amour surnaturel pose. Ainsi nous sommes cocréateurs. Nous participons à la création du monde en nous décréant nous-même. »
Simone Weil, La pesanteur et la grâce
Si je regarde mon visage dans le miroir, je ne me vois pas ; je vois le reflet d'une chose, colorée, limitée et mortelle, non moi. Le miroir me montre non pas ce que je suis, mais ce que je ne suis pas.
En m'identifiant au visage, je me réduis à une toute petite chose.
Pour trouver ce que je suis, il faut que je regarde la source de mon regard ; il faut que je plonge dans l'espace infini qui regarde le reflet et qui regarde toutes choses.
Disparaitre dans l'espace du regard est ce que Simone Weil appelle "décréation", et dans cette décréation le monde apparait.