Elle est parvenue à voir, et à discuter avec l'immense auteur Stephen King lors de sa venue exceptionnelle en France du 12 au 16 novembre dernier, à l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Docteur Sleep. Elle a été de tous les rendez-vous : une conférence de presse, une séance de dédicace, l'enregistrement en direct d'une émission de télévision (La Grande Librairie), d'une émission de radio (Le Mouv), et un cocktail avant la soirée du Grand Rex. Son art de taper l'incruste m'épate tout autant que la sensibilité et la finesse avec laquelle elle choisit des cadeaux pour son idole.
Un mois plus tard les souvenirs étaient toujours très vifs et l’idée a fait son chemin de communiquer surtout sur la façon dont la fiction l'a aidée à grandir, même si cette influence ne fut pas la seule à être déterminante.
J'ai, de mon coté, eu la chance de découvrir le livre avant sa sortie en librairie et de discuter avec la jeune femme. Sans être une de ses groupies (sa célébrité est sans commune mesure avec celle de la star) j'ai pu lui confier mon admiration pour ce récit qui m'a beaucoup touchée alors que je connais très peu l'oeuvre de Stephen King.
Je suis certaine que beaucoup de lecteurs vont comme moi se retrouver dans le récit d’Alexandra puisqu’en dehors de l'effet "journal de bord" elle s’adresse à nous de manière universelle. Son livre est aussi l'occasion de quelques pages d'une rare justesse sur les motivations des grupies (p. 85), l'analyse du processus d'écriture (p. 156) ou ce qu'elle désigne sous le terme de cristallisation amoureuse (p. 193).
Bien entendu l'essentiel consiste à comprendre comment ce qu'elle appelle "des modèles faits d'encre et de papier" (p. 21) sont "devenus des amis avec lesquels elle a appris à devenir adulte" (p. 132). Elle a parfaitement raison en soulignant que le rôle déterminant des livres, et en miroir de l'écriture puisqu'elle même concède écrire pour découvrir ce qu'elle pense (P. 119).
D’une manière générale on peut estimer que la littérature et tout ce qui est lié à l’imaginaire prend de plus en plus d'importance, et que ce phénomène s’intensifiera encore, surtout pour les gens un peu solitaires.
N'allez pas imaginer un livre ennuyeux. Elle compare (p. 27) la tranquille Franche-Comté de son enfance à l'Etat du Maine qui sert de cadre aux romans de Stephen King, une campagne profonde peuplée par des gens rationnels. Je vous conseille quand même d'y passer des vacances ne serait-ce que pour le musée de plein air des Maisons Comtoises de Nancray, le Fort Saint-Antoine et tant que j'y suis je vous recommande aussi la lecture du Domaine des murmures de Carole Martinez pour rester dans cette région.
Alexandra est capable de beaucoup de second degré, faisant du Stephen King sans le savoir en évoquant Jean-Claude Romand sans explication (p. 37). Elle a raison de souligner que rien n'est plus terrible que ce qui se passe dans la vraie vie comme la solitude, le chômage, la maladie. Ce qui effraie le plusdans l'œuvre de Stephen King ce ne sont pas les monstres, qui sont des allégories, mais ce qui est désigné. Et elle a bien raison de terminer en nous confiant les propres peurs du maitre de l'horreur.
Elle écrit aussi avec un humour corrosif à d'autres endroits. Il y a des moments très savoureux, par exemple sur son rejet des émissions de télévision au regard de sa première expérience de plateau il y a trois ans (p. 121). Elle ne le cite pas nommément mais il s'agit de Frédéric Taddéi pour Ce soir ou jamais et le plus amusant est qu'elle va le retrouver dans quelques jours à la radio.
La démarche d’Alexandra est touchante parce qu’elle est totalement sincère. Elle reconnait d’ailleurs qu’elle n’a pas tout aimé dans l’œuvre du maître King et qu’elle ne l'idolâtre pas même si on pourrait s’amuser qu’elle ait pu agir comme les inconditionnels que l’on ne voyait jusque là que dans l'univers du rock ou de la télé-réalité. Elle est pleinement consciente d’avoir agi de manière excessive : J'étais tout de même au MK2 (elle a passé 16 heures d'affilée sur la dalle pour avoir la garantie d’obtenir une dédicace le lendemain sachant qu'ils ne seraient que 100 élus parmi 3000 candidats), je devrais balayer devant ma porte moi-même avec un tracto-pelle vu ce que j'ai fait.Elle a réellement vécu tout avec détermination, et avec calme. Elle n'avait pas initialement remarqué la mention "pour Alex" notée en accompagnement de la dédicace. Ce n’est effectivement que plus tard qu’elle la vit, comme elle l’écrit page 117.
Sa position est peu banale car elle n’est pas seulement lectrice. Elle aussi sacrifie aux séances de dédicaces organisées à la sortie de chacun de ses romans. Elle ne s’y est jamais sentie très à l'aise. Ecrire c'est d'abord partager avec des gens qui sont des anonymes, et qui font bien de le rester. Le fait de venir me voir c'est un peu intimidant ... Parfois c'est fou comme les lecteurs peuvent être à coté de la plaque en croyant avoir compris quelque chose qui est absolument différent de ce que j’ai voulu transmettre. Je ne les contredis pas et je reste souriante. Après tout c’est leur façon de voir les choses.
J'ai voulu lire le récit d'Alexandra alors même que je connais très peu l'oeuvre de Stephen King parce que j'avais été sidérée de l'engouement que sa venue en France avait provoqué. Qu'un écrivain réussisse à déplacer des foules alors qu'on affirme qu'on ne lit plus m'avait littéralement bluffée. Je l'avais aperçu en reportage. J'avais suivi la grande Librairie et j'avais regretté de ne pas avoir eu l'occasion de l'approcher. Son humanité m'avait profondément interrogée. j'ai retrouvé ce que j'avais ressenti en lisant cette description :
"Il entre sans se presser, désinvolte. Un sourire au coin des lèvres, grand, un peu voûté, la démarche hésitante. Sous les flashes qui crépitent, malgré l’interdiction, ses yeux pétillent. Mi-gêné, mi-amusé, l’air de rien, il sort de sa coquille, prend quelques secondes pour observer la foule, curieux, vulnérable, perplexe. Le temps de traverser l’estrade, il endosse une nouvelle carapace, drapé dans le statut qui a réuni ici près de trois cents journalistes venus des quatre coins de la planète : celui de l’écrivain le plus célèbre au monde. "A chaque fois qu’elle s’est trouvée face à cet homme qu’elle admire tant et qui représente énormément à ses yeux Alexandra a parfaitement réussi à maitriser ses élans et rester discrète. Je suis fan, mais j'ai gardé ma capacité de jugement (p. 109). Elle justifie sa position en faisant référence à Dolores, la fan sociopathe de Misery, un des premiers livres de Stephen King, faisant le portrait d’une infirmière psychotique qui séquestre un écrivain pour l’avoir pour elle seule.
J’ai effectivement rencontré Stephen King chaque jour et lui aussi m'a rencontrée tout autant, même si les interactions n'ont jamais été très longues. Je n’aurais pas voulu qu’il voit en moi un double de Dolores. Je n’ai rien fait qui aurait pu le mettre mal à l'aise.Elle avait juste osé solliciter son accord pour la photo de 4ème de couverture où on les voit tous les deux cote à cote. Alexandra ne lui a donc pas montré le fameux (et si beau) tatouage multicolore qu’elle a sur l’épaule et qu’elle exhibe sur la première de couverture, Grippe-Sou le clown de Ça, brandissant des ballons de baudruche. Elle était réfractaire à l'idée de se montrer ainsi mais elle décida finalement d’assumer ce choix, pourvu qu’il s’inscrive dans une démarche artistique.
Le photographe s’est inspiré de la scène de la baignoire de Shining. Après tout puisque ce tatouage est une réalité autant l'exploiter pourvu que la mise en situation soit contrôlée. Le cliché est très réussi, évoquant une pochette de disque ou l’affiche d’un film qui aurait pu être signé par David Lynch.
Stephen King l’aura découvert en feuilletant le livre qu’elle lui a transmis par le biais de son assistante accompagné d’une version en anglais, qu’elle a rédigée elle-même, au prix d’un grand effort. J’en ai encore les yeux qui saignent, avoue-t-elle.
L’éditeur de Stephen King étant Albin Michel, on aurait pu comprendre qu’elle propose son manuscrit à cette maison d’édition mais elle est restée fidèle à Léo Scheer qui la suit depuis ses débuts. Il connaissait ma passion pour Stephen King. J’en avait parlé avec lui avant de commencer. J‘avais songé d’ailleurs à me lancer dans un essai sur le sujet avant que je sache que Stephen King viendrait à Paris. Aujourd’hui je ne regrette pas d’avoir attendu. Le résultat n’aurait pas été si personnel.
Face à ma surprise de ne pas comprendre pourquoi ni comment elle ne croule pas sous les propositions elle raisonne en riant que tout est de sa faute parce qu’elle ne "réseaute" pas suffisamment. J’espère qu’elle se trompe et qu’elle sera vite contactée pour une publication en langue anglaise. Elle reconnait espérer modestement malgré tout au moins un e-book en version anglaise. Si elle n’est pas complètement satisfaite de sa traduction il semblerait qu’elle soit tout à fait correcte, d’après les premiers lecteurs confirmés qui l’ont lue.
Ce livre aura changé sa vie, sans doute plus profondément qu’elle ne le pense au moment où nous nous sommes parlé. Elle n’a que quelques échos de journalistes, positifs mais encore rares. Des salons et des séances de dédicaces commencent à être programmés. Des rendez-vous sont pris. Une émission de radio. Pour le moment elle ne ressent pas d’angoisse, mais elle redoute d’être surexposée. Tout ira bien tant qu’elle réussira à parler de quelqu'un qu’elle aime sans parler d’elle.
On débusquera malgré tout entre les lignes des confidences la concernant. Rien de très scandaleux. Sa maman a lu le livre et sa réaction fut positive.
Alexandra Varrin m’apparait doucement rebelle, encore en construction. Si j’ai été choquée qu’elle cite Miossec (p. 178), elle s'en est défendue en reconnaissant ne l’avoir jamais écouté, tout simplement parce qu’il n’appartient pas à son paysage musical. Elle a été élevée les trois quarts du temps par ses grands-parents qui écoutaient "de la musique de grands-parents, comme Gilbert Bécaud" et ce qu’elle aime c’est plutôt le rock, des chanteurs comme Marilyn Manson, Nine Inch Nails ou The Dresden Dolls ... Elle a formé ses goûts au fil du temps, choisissant d’abord les albums de manière instinctive, par rapport aux pochettes.
Jusque là Alexandra Varrin écrivait des livres qui s’apparentaient à des autofictions. Je suis en train de sortir de cette vague qui sert à donner une version idéalisée de soi-même. Je sens les choses changer. Vous remarquerez déjà qu’une semaine dans la vie de Stephen King s’achève sur une note positive, ce qui est très nouveau pour moi. Jusque là je me cachais derrière le sarcasme, peut-être parce que je manquais encore de maturité.
Alexandra n’est pas écrivain à plein temps. Elle est née en 1985 et vit à Paris. Elle a suivi une école de commerce après un Bac ES, suivant en quelque sorte un parcours logique pour ce qu’on appelle "une bonne élève". Elle exerce un métier dans un domaine éloigné de l'écriture, ce qui la satisfait finalement pleinement. Ses collègues ne sont pas tous au courant de sa double vie mais ceux qui ont lu ses livres partagent sa joie.
Ecrire restera cathartique et passionnel. Ce qui aura changé c'est sa manière de fonctionner. Alexandra n’a pas de rituel d’écriture. Elle écrit quand elle a une idée, souvent le soir, voire la nuit, peu importe les heures, le plus vite possible pour conjurer la peur de se lasser du sujet, (elle dit que cela lui est déjà arrivé). Elle est en route pour un nouveau roman, le sixième, qui se trouve au stade du premier jet.
Après notre entretien j'hésite entre me précipiter sur un livre de Stephen King (que je connais à travers les films qui ont été tirés de ses ouvrages) ou un roman d'Alexandra. Deux fortes envies que je ne dois pas être la seule à ressentir.
Une semaine dans la vie de Stephen King d'Alexandra Varrin aux éditions Léo Scheer
Photo d'A. Varrin avec S. King © D.R. Jérémy Guerineau / Club Stephen King