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[note de lecture] Jean-Pascal Dubost, "Sur le métier", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

Sur-le-metier-d-ecrir-de-jean-pascal-dubostCet ouvrage montre encore, s’il en était besoin, qu’il n’y a pas rivalité mais complémentarité entre l’écran et le papier. A l’origine, on a une série d’ « entretiens infinis » avec Jean-Pascal Dubost, menés par Florence Trocmé sur le site Poezibao entre février 2008 et novembre 2009. Les éditions Isabelle Sauvage reprennent cet échange mais, comme on sait qu’avec Jean-Pascal Dubost un texte ne reste jamais inerte (cf. Le Nouveau Fatrassier, éd. Tarabuste), il a « nettement retravaillé » ses réponses avant la publication du présent livre. 
 
D’ordinaire, on va vers un ouvrage d’entretiens afin d’en apprendre davantage sur l’auteur, sa vie, ses goûts, son parcours, ses raisons d’écrire… Ce livre ne fait pas exception, bien sûr, mais avec une radicalité aussi particulière que roborative. Florence Trocmé oriente d’entrée l’échange sur le « rapport aux mots », mais lorsqu’elle veut creuser du côté biographie et enfance, elle se heurte à un tir de barrage assez nourri : « la vraie vie est dans les livres », « « Jean-Pascal Dubost » est une extraction d’écrivains », « l’autobiographie est autobiodégradable dans le poème », « le poète fait de l’enfance une fiction probable », « nécessaire rupture avec l’enfance »… Exit donc l’enfance, et fin de non-recevoir pour une confession à propos des circonstances biographiques comme raisons d’être particulières  d’une vocation d’écrivain. La poésie est un « « logocosme » sui generis », point barre. On a là déjà un exemple de ce qui fait l’intérêt abrasif et tonique de ce livre. Les positions de J.P. Dubost sont tranchées, volontiers provocatrices. Que le lecteur adhère, refuse, partage, repousse, ou même seulement nuance, il est mis en éveil, amené à penser, à se situer, pas simplement à suivre. 
 
Dès le second chapitre, sobrement intitulé « Du travail », on entre dans le vif du livre et on ne quittera plus cette zone jusqu’à la fin. « Du baroque », « Du défait », De la technique du compost », « De l’informalisme lirique », « De la citation », les questions de F. Trocmé varient les angles d’attaque mais cela permet à J.P. Dubost de nous faire visiter son « atelier mental » et de développer librement son art poétique personnel. 
Côté atelier, deux espaces sont privilégiés : le carnet et la bibliothèque. Le carnet, ou forme particulière de « journal » apparaît à la fois comme nécessaire et relégué. Constituant « l’histoire débridée d’une écriture, sorte de déluge épicosmobiographique », les carnets accumulés conservent bien une mémoire, mais pour l’auteur seul. L’éventualité de leur publication est clairement repoussée, même à titre posthume ; ils sont une sorte de « pré-œuvre » sans « aucun intérêt » sinon celui d’un « exercice quotidien ». 
La bibliothèque est présente à travers les très nombreuses références à la poésie d’hier et d’aujourd’hui, française et étrangère, mais aussi à la littérature en général et à la critique littéraire en particulier. Le chapitre « Du baroque », par exemple, fait appel à la thèse d’Eugenio d’Ors en la prolongeant : « J’aurais tendance à étendre le caractère trans-historique de la notion de baroque jusques à aujourd’hui. » Mais cette culture littéraire n’est pas un but en soi, elle a partie liée avec le travail ; Jean-Pascal Dubost le montre bien avec l’exemple du « sonnet rapporté », forme baroque qui « a beaucoup travaillé (sa) syntaxe ». Cette nécessité d’une bibliothèque mentale, alimentée par une « véritable dévoration gargantuesque (de) lire » parce que « lire c’est vivre », a plusieurs effets directs. D’abord une réflexion approfondie sur la citation ; tout le dernier chapitre est consacré à cette question, effectivement centrale dans l’œuvre de Dubost (cf. Et leçons et coutures…, éd. I. Sauvage, par exemple). Ensuite un positionnement très clair, et critique, vis-à-vis d’une poésie qui se voudrait neuve au point de se revendiquer sans mémoire : « écrire sans mémoire (même faillible) me laisse perplexe (tout comme la tabula rasa des avant-gardes), et pis est, défendre cette posture au nom d’une naïveté maintenue, et de l’innocence… sur-perplexité de moi. » On entend bien que cette « perplexité » est peu dubitative ; elle est plutôt effort d’atténuation polie, voile de la litote tendu sur une vérité qui risquerait de blesser par sa justesse même. 
 
La richesse de ce livre tient à la circulation constante entre la réflexion de l’auteur sur son propre travail et sa réflexion plus générale sur la poésie, la littérature, la langue.  Ajoutons que ce dialogue est très écrit, et que l’on retrouve avec bonheur la prose dubostienne, marquée par la gourmandise lexicale et la syntaxe qui surprend à la fois par ses ruptures et son élasticité. Un dernier point, qui n’est pas à négliger : autant les positions et les jugements sont arrêtés, autant le ton des réponses est le plus souvent enjoué, y compris lorsque l’auteur sourit de lui-même, de sa paresse par exemple. A la lecture de ces entretiens, on sent l’auteur à l’aise, comme si les questions l’amenaient à évoluer dans son élément naturel, son écriture et la poésie comprise comme travail de langue et « émotion intelligente ». 
 
[Antoine Emaz] 
 
Jean-Pascal Dubost, Sur le métier (entretiens avec Florence Trocmé), Editions Isabelle Sauvage, 60 pages,  12 € 


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