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Bakounine, les convictions du révolutionnaire

Par Alaindependant

Avec son Catéchisme révolutionnaire, il s’agit pour Bakounine de recueillir dans un même texte toutes les convictions qui sont celles du révolutionnaire. De sorte que le texte se présente comme une succession de principes, de plus en plus développés - ceux-là même que Bakounine résumera deux ans plus tard dans la formule qui donnera son titre à l’écrit inachevé Socialisme, fédéralisme et antithéologisme. Il n’est pas anodin, à cet égard, que Bakounine se demande, dans son Catéchisme de 1866, quelles sont désormais les questions qui sont susceptibles de soulever les masses et de les entraîner dans une révolution. C’est cette question qui détermine chez lui la prise en compte de la question sociale: les questions nationale et politique ayant, selon lui, épuisé leur potentiel révolutionnaire, c’est du côté de la question sociale qu’il faut se tourner si l’on cherche de quelle révolution nos sociétés sont porteuses...

Ainsi Jean-Christophe Angaut nous présente le Catéchisme...

Lisons-le.

Michel Peyret

Catéchisme révolutionnaire, Michel Bakounine

26 février 2010 | Auteur: Jean-Christophe Angaut

catechisme

Les éditions de L’Herne viennent de publier, dans leur collection “Carnets” le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine.  C’est l’occasion de revenir sur ce texte, sur son contenu, sur les confusions qui l’entourent et sur les circonstances qui ont entouré sa rédaction.

L’édition du texte est accompagnée d’une brève présentation par Alexandre Lacroix, écrivain, rédacteur en chef de Philosophie magazine et directeur de la série “Carnets anticapitalistes” dans laquelle est publié le texte. Le susnommé indique que le texte est daté de 1865 et il mentionne en note qu’il “s’agit d’un texte rare, qui n’a à l’heure actuelle fait l’objet d’aucune édition autonome”, avant de préciser toutefois que le “texte rare” en question a été recopié par Max Nettlau dans son monumental Michael Bakunin - Eine Biographie (Londres, 3 volumes, 1896-1900), publié ensuite dans les Cahiers socialistes libertaires (n°6-9, mars-juin 1956) et enfin présenté dans l’anthologie de Daniel Guérin Ni Dieu ni maître éditée chez Maspéro en 1970.

Mais précisément, si l’on peut se réjouir de voir paraître sur papier un nouveau texte de Bakounine, on ne peut manquer de se demander ce qu’apporte au juste cette nouvelle édition. Ce que ne dit pas Alexandre Lacroix dans sa présentation d’un texte qu’il tente de faire passer pour un quasi-inédit, c’est que la présente édition se contente de reprendre en l’état celle de Daniel Guérin, en ôtant simplement les intertitres que ce dernier avait ajoutés et sans adjoindre au texte le moindre appareil critique. Or depuis les années 1960, l’œuvre de Bakounine a bénéficié des travaux d’Arthur Lehning et de son équipe à l’Institut International d’Histoire Sociale (IISG, selon l’acronyme néerlandais), ce qui a permis notamment d’établir et de dater les textes avec davantage de précision et a débouché sur l’édition d’un CD-ROM qui constitue désormais le matériau de base pour toute édition sérieuse de textes de Bakounine.

Pour qui connaît ces travaux, l’édition du Catéchisme révolutionnaire proposée par les éditions de L’Herne est marquée par le dilettantisme éditorial le plus désagréable.

Cette édition recopie ainsi les plus menues erreurs sans plus ample vérification: le texte est daté de 1865, alors que les travaux de l’IISG ont montré qu’il s’agissait d’un texte rédigé en mars 1866 par Bakounine alors qu’il se trouvait en Italie et qu’il tentait de monter une nouvelle société secrète internationale révolutionnaire. On peut d’ailleurs signaler qu’il s’agit plus exactement de la première partie d’un texte beaucoup plus long qui porte pour titre général Principes et organisation de la société internationale révolutionnaire. La seconde partie, dont j’aurai l’occasion de reparler sur ce blog un jour ou l’autre, décrit longuement l’organigramme de cette société secrète.

Dans sa présentation, A. Lacroix va jusqu’à reprendre à Guérin les deux temps de son argumentation touchant à l’un des griefs qu’il serait possible d’adresser au Catéchisme: celui-ci semble en effet d’un côté en appeler à une destruction de l’État, tout en proposant, de l’autre, une description de ce qu’il devrait être suivant le programme politique défendu par Bakounine. A cela, Guérin répond (et A. Lacroix avec lui en mode karaoké) qu’il y a en fait État et État, et que l’État que semble prôner Bakounine est en fait un organe fédératif sans pouvoir de contrainte sur ce qu’il fédère.

Par ailleurs, dans l’édition du texte (si l’on peut encore parler d’édition puisque ce qui suit prouve au contraire l’absence de tout travail d’édition) les erreurs de transcription dues à la main de Max Nettlau, ou à celle de Daniel Guérin sont recopiées directement. Nettlau a en effet recopié un manuscrit qui était de la main d’une amie de Bakounine, Zoïa Sergueïevna Obolenskaïa (à qui Mikhail Alexandrovitch avait sans doute dicté son Catéchisme). Là où Bakounine parlait, selon le manuscrit conservé à l’IISG, de “distraction de la liberté individuelle ou publique”, Guérin a cru devoir lire “destruction”, et les éditions de L’Herne ont recopié cette erreur (p. 16) sans en signaler la source. De même, les menues coupes effectuées dans le manuscrit (ainsi p. 26) sont exactement celles que l’on trouve dans la copie de Nettlau (qui par ailleurs a gommé la numérotation des paragraphes et les titres qu’ils comportaient) reprise par Guérin. Bien entendu, rien de tout cela n’est signalé, ce qui permet de faire passer pour rare un texte dont on peut trouver rigoureusement la même édition sur Internet en deux clics - et même en un clic, si vous suivez ce lien vers l’excellent site bibliolib (qui, lui, a le mérite de dire ce qu’il doit à ses sources). J’espère que l’indication de cette version électronique ne conduira pas les éditions de L’Herne dans une procédure juridique pour plagiat par anticipation (comme on dit au Collège de ‘pataphysique) contre le site en question. La chose serait du plus haut comique de la part de gens qui n’entreprennent, en guise d’éditions de textes révolutionnaires, que de débiter en tranches ce que d’autres ont déjà proposé au public dans de plus forts volumes.

En résumé, est-il bien utile de dépenser 9,50€ pour 50 petites pages de texte que l’on peut avoir gratuitement sur Internet? A moins que ce prix ne soit justifié par la seule présentation d’Alexandre Lacroix?

Pour achever la liquidation du petit commerce des livres révolutionnaires, je me propose pour finir de fournir (gratuitement) quelques indications sur ce Catéchisme révolutionnaire

Bakounine avait déjà rédigé, à l’automne 1864, un texte intitulé Catéchisme révolutionnaire, qui servait déjà de “programme provisoirement arrêté par les frères fondateurs” pour une “société internationale secrète de la révolution” à laquelle il voulait rallier celui à qui il le fit parvenir, un démocrate suédois du nom d’August Sohlman. Cette première version est beaucoup plus brève et développe beaucoup moins les principes politiques et sociaux qui seront contenus dans le Catéchisme de 1866. On la trouve bien entendu sur le CD-ROM édité par l’IISG.

On pourrait par ailleurs s’étonner du titre choisi par Bakounine pour présenter ses programmes révolutionnaires: depuis quand un socialiste libertaire s’exprime-t-il par catéchismes? N’est-ce pas signifier un rapport religieux à des convictions politiques? Est-ce que cela ne sous-tend pas une forme de dogmatisme politique? Une réponse possible serait de souligner qu’un tel titre n’a rien de rare à l’époque: Auguste Comte, fondateur du positivisme, est par exemple l’auteur d’un Catéchisme positiviste. Mais une telle réponse n’est pas entièrement convaincante: Comte constitue pour Bakounine tout à la fois une référence et un adversaire, et il a expressément affirmé vouloir élever sa propre doctrine au rang d’une religion. En revanche, on trouve dans les années 1840 quantité de catéchismes au contenu à la fois social et politique chez certains penseurs socialistes ou communistes. Ainsi Moses Hess publie-t-il en 1845 un Catéchisme communiste par questions et réponses, dont le titre allemand fournit peut-être une meilleure indication de ce que ce genre de texte peut poursuivre comme objectif: il s’agit en fait d’une Bekenntnis, c’est-à-dire d’une profession de foi, d’un credo, d’un recueil de convictions.

Cela peut contribuer à éclairer le statut de ce texte de Bakounine: il s’agit pour ce dernier de recueillir dans un même texte toutes les convictions qui sont celles du révolutionnaire. De sorte que le texte se présente comme une succession de principes, de plus en plus développés - ceux-là même que Bakounine résumera deux ans plus tard dans la formule qui donnera son titre à l’écrit inachevé Socialisme, fédéralisme et antithéologisme. Il n’est pas anodin, à cet égard, que Bakounine se demande, dans son Catéchisme de 1866, quelles sont désormais les questions qui sont susceptibles de soulever les masses et de les entraîner dans une révolution. C’est cette question qui détermine chez lui la prise en compte de la question sociale: les questions nationale et politique ayant, selon lui, épuisé leur potentiel révolutionnaire, c’est du côté de la question sociale qu’il faut se tourner si l’on cherche de quelle révolution nos sociétés sont porteuses.

Le Catéchisme révolutionnaire, c’est donc le programme politique auquel doivent adhérer ceux qui veulent devenir membres d’une société secrète internationale qui se propose d’œuvrer pour la révolution sur le continent européen. Cela signifie par la même occasion que pour Bakounine c’est l’accord sur les principes qui est déterminant dans toute entreprise politique collective.

Cette dernière précision permet de mesurer l’écart qui sépare le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine d’un autre texte qu’on lui attribue parfois, leCatéchisme du révolutionnaire, qui est sans doute l’oeuvre de Serguei Netchaïev (voir notamment un précédent billet sur ce blog consacré aux mentions de Bakounine dans l’Histoire du terrorisme dirigée par Blin et Challiand, et un autre qui repère cette confusion dans un article du Plan B), la difficulté étant que le texte de Bakounine est parfois cité avec le titre de celui de Netchaïev et vice versa. Or dans ces deux textes, il est question de deux choses bien différentes. Le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine contient, on l’a vu, le programme politique d’une organisation, et c’est l’adhésion à ce programme qui détermine l’adhésion à l’organisation. En revanche, le Catéchisme du révolutionnaire (dont on trouve une traduction, toujours sur bibliolib) brosse le portrait du révolutionnaire, il insiste exclusivement sur l’ethos du révolutionnaire, indépendamment du programme politique qui est le sien, et il explique que le trait éthique dominant du révolutionnaire est de se faire, d’une manière inflexible, l’instrument de la cause qu’il défend, aussi bien dans sa personne que dans les relations qu’il entretient avec autrui.

Quant au contenu, le Catéchisme révolutionnaire de 1866 est un document précieux sur les positions politiques de Bakounine, mais on aurait tort de considérer qu’il s’agit là de leur formulation définitive. Ce texte appartient en effet à ce qu’on peut considérer comme l’avant-dernière période de la pensée politique du révolutionnaire russe. Après 1868 et son entrée dans l’AIT, s’ouvrira une dernière période, marquée par la prise en compte effective du mouvement ouvrier en cours de constitution. Avant cette date, Bakounine est encore dubitatif sur les capacités politiques des classes ouvrières, et c’est en partie ce qui motive la mise sur pieds de sociétés secrètes, constituées expressément de personnes qui sont des traîtres à leur propre classe (la noblesse et la bourgeoisie). Par ailleurs, sa compréhension de la question sociale demeure encore limitée et il semble davantage intéressé par les questions morales, religieuses et politiques. Enfin, son fédéralisme est alors moins un fédéralisme socio-économique (ce qu’il sera après 1868) qu’un fédéralisme politique: il est moins question de fédérer des associations de producteurs que de fédérer des entités territoriales préexistantes. Ce qui manque peut-être encore à Bakounine à l’époque (mais un tel langage est marqué d’illusion rétrospective) c’est l’idée d’une résorption des nationalités dans la solidarité produite par le travail.

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