Tu voudrais être partout. Partout, sauf ici. Ici où il y a beaucoup trop de bruit. Ce brouhaha indigeste te pénètre déjà par tous les pores. Des cris. Des insultes. Des menaces. Des hurlements sourds. Et surtout. Surtout. Des silences trop lourds. Et trop criards, aussi.
Petit déjà, tu ne supportais pas les conflits. Aujourd’hui, un peu moins petit, la même scène se déroule inlassablement sous tes yeux. Sans que tu ne puisses jamais en modifier le moindre fragment. À ceci près que ce ne sont plus tes parents qui hurlent, s’empoignent, se cognent dans le grand couloir. Non. C’est vous. Toi et ta femme. Dans l’étroit cagibi. Te voilà planqué sous l’étagère peuplée de boîtes de conserve en tous genres, alors qu’à la porte, de son regard révolver s’échappe une détonation sourde. Pan. Pan ?!
Et tu la distingues, de ton bunker, gesticuler en tous sens. Taper partout. Contre la porte. Contre le mur. Contre le vent. Et tu perçois, au loin, l’écho de bribes de tentatives de communication belliqueuse. Partir. Fatigue. Douleur. Connard, aussi. Qui s’époumone. Se tait. Puis reprend, de plus belle, son chant piquant. Ne réponds pas, surtout !
Non. Tu ne répondras pas. Peut-être même n’es-tu déjà plus là. Si tu as un jour été là, d’ailleurs. Spectateur de ces scènes obscènes. S’ils savaient. Ceux-là qui se succèdent sur ces mêmes planches. Ceux-là qui se succèdent dans le temps. Comme tu aimerais déjà leur jeter les tomates qui pourrissent dans tes poches depuis trop longtemps. Comme tu aimerais les huer, du haut de ton siège en papier mâché. Comme tu aimerais n’avoir jamais été là. Comme tu n’as jamais été là, en réalité. Réalité et rêves se confondent soudain.
Et déjà, tu n’es plus là. Non. Absorbé par un ciel trop lourd et quelques conserves oubliées, tu t’engendres
nuage, haricot, pluie, maïs, soleil, champignon, tonnerre, épinard, giboulée, petit pois, et cætera. Et déjà, la réalité s’enfuit. Oui. Et sur ceux. Sur celle. Qui crient. Qui crient. Qui s’époumonent dans le grand couloir, l’étroit cagibi. Le ciel grogne. Et l’étagère s’affole. Une ondée. Un ouragan. Un tremblement de terre. Et le monde, pour tous, s’arrêtera un instant quand ils te distingueront, impuissants, sourdre de ce ciel trop lourd, de toutes ces boîtes de conserve entassées sur l’étagère du cagibi.