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Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

Publié le 24 septembre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Tandis que L’été vient de poser son dernier soupir au-dessous de la quatrième ligne d’une portée, j’appréhende L’automne, allegro, en fa majeur et à quatre temps. Vivaldi a plusieurs cordes à son violon. Il m’apprend les fusils et les chiens, le vent baroque qui souffle dans les cors, la liqueur de Bacchus distillée du bout de l’archet. Pourquoi, après tout, devrais-je laisser aux seuls climatologues, agriculteurs, scientifiques, économistes, le pouvoir de me compter les saisons quand la musique m’en conte tout autant ? Si on s’évertue à n’expliquer le monde qu’avec des chiffres, ne risque-t-on pas de perdre ce qui n’est pas quantifiable ?

L’art ne compte pas et c’est malheureusement dans l’air du temps que d’avancer que la culture, c’est du vent. Il faut être optimiste aujourd’hui, pour défendre tout l’intérêt de gouverner vent arrière.

Les arts n’ont plus le vent en poupe, comme si l’émotion n’insufflait plus aucune vérité. Pourtant, le Chat, n’y a-t-il pas toujours eu un lien fort entre la politique et l’art ? Molière avait beau contester son époque, il était financé par le roi lui-même. Nombre d’hommes et de femmes de pouvoir ont été des mécènes d’artistes. Hitler même sauvait les musiciens de l’extermination. C’est une évidence. On ne peut pas vivre en retenant l’inspiration.

Mais voilà, on ne peut pas souffler et avaler en même temps. À vouloir absorber tous les déficits, l’État a le souffle court. Alors, il pense qu’en fermant les conservatoires de musique et d’art dramatique en région, il va redonner un second souffle à l’économie sans réaliser un seul instant que sans culture, la société est sous respirateur artificiel.

La culture, c’est un peu l’avenir qui se souvient de son passé, non ? En apnée de mémoire, une région ne peut donc que dépérir. Alors, je me demande, cher Chat, comment un État « qui se souvient » peut confier ses aspirants à l’excellence, au bon vouloir du secteur privé qui se défend souvent de la perfection pour n’y voir qu’une lucrative entreprise.

Fermer les conservatoires, ce n’est pas seulement couper le souffle au talent et l’envoyer respirer ailleurs, c’est aussi priver le citoyen des régions d’un bien qui devrait être public parce les arts ont fonction d’éducation culturelle et sociale, parce que la musique ne fait pas qu’adoucir les mœurs, elle les libéralise aussi. Le mouvement hippie est un de ces courants d’ère dont les vents de changement ont été expirés par la musique. Woodstock ne souffle-t-il pas encore aujourd’hui comme un vent de liberté ?

Souffler un conservatoire n’est pas jouer. Si le Québec comprime le poumon culturel de ses régions, il se prépare un souffle au cœur. Ce lieu d’enseignement de haut niveau est le gage thoracique que subsisteront festivals et évènements artistiques d’envergure, que continuera de fleurir dans nos fosses d’orchestre une pépinière de talents, futurs ambassadeurs du Québec sur la scène internationale. Et on voudrait priver le Saguenay, Trois-Rivières, Gatineau, Val-d’Or et Rimouski de participer à l’avènement de cette langue universelle ? Mais qui sont-ils, nos dirigeants, pour ne pas comprendre à quel point la culture d’une nation est une richesse à portée de main, à portée de notes ? Qui mieux qu’une Marie-Nicole Lemieux peut ouvrir une fenêtre francophone sur le monde ? On va creuser le déficit pour vendre le Québec au-delà des frontières, alors que la culture en fait la promotion gratuitement ! On va fermer les conservatoires en région, alors qu’ils augmentent le niveau d’excellence de nos orchestres ! Il s’exhale comme un parfum de bêtise de ces amputations sauvages.

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Alors, si on attend pour servir le soufflet, il va retomber. Habitons le trou du souffleur de la scène gouvernementale et soufflons à ses acteurs en proie au blanc de mémoire l’unique partition, celle qui défend nos institutions culturelles. Haussons la voix, Don Quichuchotte que nous sommes trop souvent, et pendant que les conservatoires retiennent leur souffle, faisons tourner tous les moulins au vent de nos contestations.

S’essouffler n’est pas jouer.

Sophie

 Notice biographique

Chat Qui Louche maykan maykan2 alain gagnon
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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