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Pour chercher et construire les fondements d'une école "du peuple"...

Par Alaindependant

Dans ce contexte dont on ne sait s’il est favorable ou pas, plusieurs mouvements pédagogiques ont décidé d’initier des rencontres pour chercher et construire les fondements d’une école « du peuple ». Difficile de savoir par où commencer, tant la tâche est immense. La situation est comparable à celle que vivent les Français dans leur ensemble vis-à-vis de la politique générale actuelle : tout le monde s’accorde pour dire que le cap n’est pas le bon, chacun sait bien que les remèdes annoncés ne guériront pas le mal. Les forces dites « radicales » ou révolutionnaires ont beau clamer contre le fantôme de Thatcher et son fameux « There Is No Alternative » (TINA) que cette alternative existe bien, elles ont du mal à en faire la démonstration, ou même à la définir. C’est ce qui a poussé le journaliste Serge Halimi à faire des propositions fort intéressantes dans un récent numéro du Monde diplomatique, précisant que « plus elles paraissent ambitieuses, plus il importe de les acclimater sans tarder, (…) sans jamais oublier que leur rudesse éventuelle doit être rapportée à la violence de l’ordre social qu’elles veulent défaire. »

Une telle alternative existe-t-elle bel et bien ? Peut-elle devenir une réalité concrète ?

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3 septembre 2014

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 Souvent, en France, quand une manifestation d’enseignants a lieu, on peut lire des pancartes « Jules (Ferry), reviens, ils sont devenus fous ! ». Pourtant, si nous en sommes là aujourd’hui, c’est bien parce que le système mis en place par Ferry dans les années 1880 a réussi à perdurer. Lui, l’apôtre de la colonisation, a aussi prôné une colonisation des esprits en France métropolitaine. Aujourd’hui, le système scolaire qu’il a légué en héritage (avec d’autres, Guizot notamment) fait de plus en plus débat.

Les évaluations internationales PISA et PIRLS, avec toutes les réserves que l’ont peut avoir sur leur pertinence, ont le mérite d’alerter l’opinion sur la médiocrité de notre système. De Telerama au Monde Diplomatique, de nombreux médias interrogent désormais les règles du jeu scolaire. Tous les acteurs, qu’ils soient élèves, parents, ou enseignants, qui vivent chaque jour l’imposture de l’égalité des chances d’un côté, et la réalité de la reproduction sociale, de la violence symbolique et de la fabrique de l’impuissance de l’autre, sentent, savent, que les dés sont pipés, et que quelque chose doit être fait.

Mais ce qui est moins connu, c’est le fait que notre modèle éducatif à été conçu pour être inégalitaire. D’un côté, le lycée destiné aux élites de la Nation. De l’autre, l’école primaire, jusqu’au certificat d’étude, pour « le peuple ». Ce peuple qui à la fin du XIXe siècle commence à déserter les campagnes pour aller travailler en ville, dans l’industrie et les usines. Pour répondre aux besoins de main-d’œuvre créés par la révolution industrielle, il faut donc éduquer suffisamment les paysans pour qu’ils soient capables de se muer en prolétaires urbains, mais pas trop non plus pour éviter qu’ils ne remettent en cause leur condition de classe dominée par la bourgeoisie. Pour ce peuple, pas besoin de trop réfléchir donc : des exercices simples, répétitifs, dénués de sens, de liens, et la méthode de lecture qui va avec : l’écrit est une traduction de l’oral, on part donc des « sons » que font les lettres (!) pour déchiffrer syllabe après syllabes des mots, puis des phrases aussi riches que « la poule appelle ses petits »... On sépare les enfants en classes d’âge, on segmente les disciplines entre elles, pour simplifier... Et éviter de développer une pensée complexe et transversale chez ce peuple, qui pourrait faire des liens entre les choses au point de vouloir les changer !

L’objectif affiché de Jules Ferry, en-dehors de conditionner la future chair à canon qui arrachera l’Alsace et la Lorraine aux griffes des « boches », est de « fermer l’ère des révolutions » : c’est d’ailleurs ce qu’il annonce aux députés monarchistes de l’Assemblée Nationale pour les rassurer et consoler les congrégations religieuses qui perdent leur monopole éducatif.

Dans les années 60, la sociologie critique de Pierre Bourdieu met le doigt sur les conséquences actuelles de ce système à deux vitesses, devenu encore plus pervers avec la mise en place du collège unique : un collège pour tous, mais dont la pédagogie héritée de celle du lycée met en échec sciemment les élèves des classes populaires. Bourdieu explique que l’école républicaine reproduit les inégalités en évaluant sur ce qu’elle n’enseigne pas, qu’elle trompe tout le monde en proclamant une égalité des chances factice, et qu’elle exerce une violence symbolique brutale sur les dominés... Une école « pour le peuple », mais sans lui...

La prise de conscience actuelle n’est qu’un ressenti à grande échelle de ce que Bourdieu a démontré il y a 50 ans.

Mais quelles réponses à ces interrogations, ce sentiment, ce vécu ? Les rares optimistes, qui ont cru que la « Refondation » initiée par le ministère changerait quelque chose, ont pour la plupart déchanté. Beaucoup font ce qu’ils peuvent à leur échelle, dans leur classe, école, quartier, sans pouvoir complètement expérimenter ce qu’ils voudraient, par manque de temps, d’audace, de formation, de travail d’équipe, ou en raison d’une pression de la hiérarchie, des collègues ou des parents d’élèves...

En parallèle, depuis quelques temps, les écoles « alternatives » se multiplient, aussi bien en ville qu’en province. Certaines sont estampillées Montessori, d’autres Steiner, d’autres encore sont un mélange de plusieurs influences. Les publics concernés par ces établissements, les tarifs d’inscription, les relations avec l’Education nationale, et surtout les objectifs pédagogiques et politiques (quand ils sont évoqués) sont très variables, et n’ont souvent rien à voir avec une révolution éducative tendant vers une école « du peuple » (et non « pour lui »)...

Dans ce contexte dont on ne sait s’il est favorable ou pas, plusieurs mouvements pédagogiques ont décidé d’initier des rencontres pour chercher et construire les fondements d’une école « du peuple ». Difficile de savoir par où commencer, tant la tâche est immense. La situation est comparable à celle que vivent les Français dans leur ensemble vis-à-vis de la politique générale actuelle : tout le monde s’accorde pour dire que le cap n’est pas le bon, chacun sait bien que les remèdes annoncés ne guériront pas le mal. Les forces dites « radicales » ou révolutionnaires ont beau clamer contre le fantôme de Thatcher et son fameux « There Is No Alternative » (TINA) que cette alternative existe bien, elles ont du mal à en faire la démonstration, ou même à la définir.

C’est ce qui a poussé le journaliste Serge Halimi à faire des propositions fort intéressantes dans un récent numéro du Monde diplomatique, précisant que « plus elles paraissent ambitieuses, plus il importe de les acclimater sans tarder, (…) sans jamais oublier que leur rudesse éventuelle doit être rapportée à la violence de l’ordre social qu’elles veulent défaire. »

Parmi les idées portées par les forces altermondialistes, antilibérales et révolutionnaires, Halimi en retient trois qui pourraient constituer un socle sur lequel les forces en question pourraient s’appuyer pour « élaborer une stratégie, imaginer son assise sociale et ses conditions de réalisation politiques ». Les voici : la gratuité étendue à tous les besoins fondamentaux, sur le modèle de la sécurité sociale ; la remise à plat de la dette publique (voire son annulation pure et simple) ; et la récupération fiscale des recettes dilapidées en cadeaux fiscaux. L’idée n’est pas ici de juger ces propositions en tant que telles, mais de voir ce que la démarche a d’intéressant et de réfléchir à son application à d’autres domaines, comme par exemple l’éducation.

Définir quelques grandes priorités, reconstruire le combat autour d’elles, cesser de tout compliquer pour mieux prouver sa propre virtuosité » : cette phrase d’Halimi pourrait-elle devenir le début d’un projet éducatif alternatif ?

Le mouvement Freinet, dont le fondateur qualifiait déjà il y a presque cent ans l’école républicaine de « fille et servante du capitalisme », qui a inventé (entre autres !) le journal scolaire, les correspondances entre classes, et la pédagogie coopérative, s’est-il endormi au point de n’avoir plus rien en commun avec l’Association Française pour la Lecture , qui prêche dans le désert depuis trente ans pour faire des élèves des producteurs de savoir plutôt que de simples consommateurs, s’est-elle résignée à laisser l’institutions scolaire produire 15% d’illettrés supplémentaires à force de laisser croire que le « son des lettres »est plus important que le sens des mots ?

La CNT, qui comptait d’excellents pédagogues, a-t-elle finalement baissé les armes après la guerre d’Espagne ? Les syndicats n’ont-ils plus pour objectif que de défendre le rythme des profs au détriment de celui des élèves ?

Avec l’expérience accumulée par ces associations, l’alliance de la recherche et de l’action, le recul acquis sur des pratiques ayant fait leurs preuves à la campagne comme dans les banlieues les plus défavorisées, comment accepter que les enfants du XXIe siècle soient instruits et éduqués selon des principes nés au XIXe dans l’esprit d’un colonisateur revanchard qui voulait par-dessus tout fournir une main d’oeuvre docile aux maîtres des forges et éviter qu’une nouvelle Commune (de Paris ou d’ailleurs) ne voit le jour ?

A l’heure où même les conférenciers du célèbre TED (Technology, Entertainment and Design) dénoncent les origines douteuses du système scolaire hérité du XIXe siècle, où la fondation Bill Gates et l’entreprise Google injectent des millions de dollars dans l’innovation pédagogique aux USA, peut-être est-il temps de mettre concrètement d’autres propositions sur la table ? De les faire connaître au reste du « peuple » dont on se demande si on en fait toujours partie à force d’en parler !

Alors, à quand un Manifeste de la Révolution Éducative, première étape vers une décolonisation des esprits ?


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