C’est lui, courtisane.
Enlève tes vêtements, dévoile tes seins,
Dévoile ta nudité.Et puis, on remonte vers notre époque, d’abord assez vite – le premier tome court ainsi jusqu’en 1790 –, puis en ralentissant le rythme : un peu plus d’un siècle dans le deuxième tome, quarante ans pour chacun des deux derniers. Dans tous, Jean-Jacques Pauvert nous réserve son lot de surprises. Les auteurs attendus sont évidemment présents, mais aussi les plus inattendus. Empédocle est, par exemple, cité – certes pour une seule expression, mais d’une grande beauté : « les pelouses fendues d’Aphrodite », ce qui méritait bien une petite place. Pas si petite que cela, d’ailleurs : l’auteur fait précéder la citation de deux pages et demie de commentaire. Car son livre vaut aussi pour la manière dont il présente les auteurs choisis. On peut discuter, par certains aspects, la méthode suivie. Elle a le mérite de traverser ces 4 500 pages avec une cohérence dans le commentaire qui finit par donner l’impression de lire une histoire de la littérature – tout court, car rares sont les grands auteurs qui n’ont pas parlé de l’émotion amoureuse et charnelle – mais aussi une histoire des mœurs. C’est surtout sensible dans les deux derniers volumes, où Pauvert trouve le moyen de raconter l’histoire agitée du livre dans lequel il a puisé. C’est une aventure éditoriale, souvent, et judiciaire, parfois. La justice et le pouvoir français, en particulier, sortent de cette traversée nantis d’une triste réputation, interdisant certains livres et pas d’autres au nom d’une vertu qui cachait généralement des intentions plus troubles, liées aux réputations et aux enjeux politiques. À défaut de pouvoir vraiment embrasser les quatre tomes dans leur globalité, revenons sur quelques impressions de lecture aussi éparses que la lecture fut partielle. Ainsi, on trouve évidemment Georges Simenon, pour un extrait de La neige était sale, mais qui n’est pas reproduit ici, notre compatriote n’ayant pas souhaité apparaître dans l’anthologie. Pour les lecteurs qui ont le roman en mémoire, disons-leur que le passage désiré par Pauvert était celui où Frank tente de mettre le gros Kramer dans le lit de sa jeune amie Sissy. Puisqu’il est question d’auteurs belges, évidemment représentés parmi les autres, il faut signaler encore au moins deux curiosités. D’abord, celle qui consiste à rencontrer le nom de José-André Lacour, non pour un livre qu’il a écrit sous son nom, mais pour Clayton’s College, signé d’un pseudonyme : Connie O’Hara, censé ajouter au roman le piquant de l’« exotisme » américain, puisqu’il était annoncé comme une traduction. Et puis, l’intégralité d’un long poème de Marcel Mariën, Le paysan du tendre (bien que toujours présenté comme des extraits), qui décline l’alphabet en une suite de verbes transitifs – « je te … » – et s’épluche comme un catalogue d’actes amoureux dont beaucoup doivent tout à l’invention langagière de leur auteur. Une telle anthologie ne peut bien entendu pas être exhaustive. Comme il arrive toujours en pareil cas, chaque lecteur trouvera dans sa mémoire quelques souvenirs de textes qui n’auraient pas déprécié l’ensemble. Puisque nous en étions à parler d’auteurs belges, et pour respecter la date butoir de 1985 choisie pour clore le dernier tome, avouons que nous aurions aimé trouver ici le Pierre Mertens de Perdre, la Nadine Monfils de Laura Colombe, un poème de William Cliff, une page de Marcel Moreau… ou, pour passer dans l’autre partie du pays, un extrait de Black Venus par Jef Geeraerts. Entre autres. Mais le terrain est inépuisable. Un autre petit reproche apparaîtra peut-être plus justifié : Jean-Jacques Pauvert n’a pas toujours réussi à se décider de manière cohérente sur le choix de la date à laquelle il devait faire apparaître certains textes. Il arrive même qu’on trouve un extrait à la date d’écriture et un autre à la date de publication en France. De manière générale cependant, la chronologie suivie par l’auteur est celle de la publication en France, y compris pour des œuvres traduites avec un décalage certain. Ce qui se justifie partiellement puisqu’il parle, rappelons-le, de lectures et non d’écriture, mais se serait justifié mieux encore s’il avait précisé ses intentions par un titre plus explicite : Anthologie historique des lectures érotiques en France, encore qu’il n’aurait pas été adéquat pour les choix opérés dans l’Antiquité. Bref, on est un peu entre deux chaises, et ce n’est pas toujours confortable. Mais il serait malvenu de chicaner Pauvert sur ces détails. Son livre existe, et il existe avec une présence à nulle autre pareille puisque jamais personne n’avait rassemblé autour de ce thème une telle masse de textes, parmi lesquels il y a bien des découvertes à faire, y compris parmi ceux qui ne sont pas littéraires d’ailleurs. Il mêle en effet les écrivains de qualité, et de renom, à des scientifiques ou pseudo-scientifiques parlant des choses du sexe et de l’amour ainsi qu’à des tâcherons de la littérature érotique ou pornographique. Bref, un panorama aussi complet que possible de la manière dont l’écriture nous a renvoyé, à travers les âges, les images d’un désir permis ou interdit.