"What about the next war ? What happens when Stalin's got one ? China ? The Shah of Iran ? You know the story of the golem ? A rabbi wanted to protect the Jews of Prague, so he built an automaton out of mud, brought it to life. First the golem kills the enemies of the Jews. Then it turns on Jews themselves. See, he couldn't control it. He'd built Frankenstein's monster."
(Charlie Isaacs)
L'un des thèmes à la mode, en ce moment dans les fictions, ce sont les scientifiques et leurs rôles durant la Seconde Guerre Mondiale. En attendant la sortie d'un film comme The Imitation Game, présenté au festival de Toronto ce mois-ci, on peut citer par exemple le téléfilm unitaire proposé par BBC2 début septembre, Castles in the sky, consacré à la mise au point du radar par les Britanniques dans les années 30. De l'autre côté de l'Atlantique, les États-Unis ne sont pas en reste, puisque c'est la chaîne WGN - continuant ainsi à se positionner dans le domaine des séries après Salem - qui s'est appropriée ce sujet depuis le mois de juillet avec Manhattan. Neuf épisodes ont été diffusés à ce jour, sur les treize que comptera la première saison. Si elle est l'objet de ce billet dominical, c'est que cette série est certainement ma nouveauté américaine préférée de l'été.
La première image de Manhattan lance un décompte : le récit débute 766 jours avant Hiroshima. Nous sommes en pleine Seconde Guerre Mondiale, mais la série éclaire un front particulier, celui d'une course contre-la-montre scientifique entre les grandes puissances engagées dans le conflit, en quête d'une arme nucléaire dont la mise au point sera décisive pour le pays qui la possèdera. L'issue de ces recherches est connue du téléspectateur. L'enjeu de la série n'est donc pas de savoir si les équipes réunies au sein du projet américain réussiront, mais la manière dont elles vont y parvenir, avec toutes les difficultés, mais aussi les questionnements, qui marqueront ce long parcours. Partant de là, ce qui frappe immédiatement le téléspectateur s'installant devant Manhattan, c'est à quel point le récit, servi par un rythme de narration rapide, est parcouru de tensions contradictoires permanentes. La série tout entière se construit sur des confrontations personnelles et des interrogations éthiques qui foisonnent à tous les niveaux. Cette approche lui permet de prendre pleinement la mesure de la richesse thématique qu'offrent ces événements se déroulant dans un coin reclus du Nouveau-Mexique.
Réunir dans un huis clos les plus grands cerveaux du pays pour travailler à l'élaboration d'une bombe ne pouvait que donner des relations de travail compliquées. L'humilité et le relationnel sont loin d'être les qualités premières de ces scientifiques toujours prompts à se concurrencer. Manhattan met donc en scène des rapports de force constants, où chacun avance ses pions et tente de peser sur les orientations du projet, sans pour autant négliger forcément son propre agenda de recherches. Tout se décline en rivalités. Les répliques y sont cinglantes et les réparties mordantes, apportant un piment appréciable à des dialogues souvent vifs. À ces tensions internes à une communauté universitaire délocalisée et reconstituée en plein désert, s'ajoutent des rapports difficiles avec l'armée et le contre-espionnage. La sécurité est en effet censée tout primer, légitimant la multiplication de mesures intrusives dans la vie quotidienne et l'intransigeance avec laquelle est accueillie la moindre infraction aux règles établies. Ce cadre aux accents kafkaïens contribue à cultiver une paranoïa vite pesante, presque oppressante, incessant rappel de cette guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres de là.
Un autre des grands atouts de Manhattan est de ne jamais oublier où conduit ce projet et les questionnements légitimes soulevés. L'objectif de mettre fin à la guerre peut-il vraiment justifier la mise au point d'une telle arme ? Remettre cette bombe, capable d'une telle destruction, entre les mains des militaires peut-il être source de paix ? Quel avenir s'ouvre avec une ère où les grandes puissances disposeront d'une telle force de frappe ? Autant d'interrogations qui résonnent avec une acuité particulière auprès d'un téléspectateur qui sait très bien où tout cela mène. La situation est d'autant plus compliquée pour ces scientifiques qu'ils ont emmené avec eux leurs familles. Ces dernières subissent non seulement un dépaysement désertique loin de tout, mais aussi les prises de distance d'époux contraints de compartimenter leurs journées pour préserver la sécurité. Derrière les dynamiques de couples qui s'enraillent face aux secrets, se ressent en permanence le poids d'un projet qui hante les consciences de chacun de ses participants.
Servie par un casting solide et une écriture dynamique qui rend le visionnage agréable, Manhattan est une série qui traite de thèmes qui ont toujours une résonance particulière aujourd'hui. Au fil des épisodes, s'esquisse en effet un portrait qui ne peut qu'interpeller : est mise en scène une course aux armements avec tous les moyens d'un État moderne, lequel rationalise à l'extrême le processus et sacrifie, en conscience, un certain nombre de principes et de droits élémentaires au nom d'un intérêt supérieur. Face aux problématiques soulevées, chaque personnage permet d'apporter un éclairage personnel, fruit de ses origines et/ou de sa propre expérience. C'est donc une série aux propos riches, qui sait happer le téléspectateur. Espérons qu'elle poursuive sur cette voie, notamment en continuant à doser sans déséquilibre les deux versants professionnel et personnel des protagonistes. À suivre.
NOTE : 7,5/10
La bande-annonce de la série :
Le générique de la série :