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[feuilleton] Cahier AA (extraits), de Claude Minière, 7

Par Florence Trocmé

Septième épisode d’un feuilleton qui en comportera une douzaine, publiés les lundi, mercredi et vendredi. Il s’agit d’extraits d’un ensemble intitulé Cahier AA de Claude Minière. 
  
 
   (journal) 
 
 
Chaque jour, dès que j’écris, s’ouvre un combat entre la cohérence et les brusqueries, entre harmonie et brutalités ; 
Je sais maintenant d’où ça vient, et le saluer. 
Dès que j’écris, un jour s’ouvre. Et j’en ris. 
 
 
N’est-ce pas un Journal qu’écrivent les poèmes ? 
 
 
Les Cantos, les réécritures des Psaumes par Claudel, les livres d’Artaud… 
 
 
 
« A.A. » comme les piles électriques (« Power »), les batteries, pourquoi pas ? 
 
 
Les poèmes sont « accumulés » dans les cahiers. 
 
 
Aujourd’hui, une question : la France va-t-elle devenir un petit pays ?... Le mal du pays. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
En littérature les romanciers américains gagnent toujours car ils visent le cinéma.  Écrire est un « job ». La véritable littérature de laboratoire, la voici. 
 
 
Mais le poème n’appartient pas à « un secteur d’activités ». Il est toute la vie. Présent comme l’Esprit, le chant noté dans ses élans, ses intermittences, et parfois ses victoires… L’air que je respire. 
 
 
Le risque d’une formule vraie, qui tire et tend, et happe. La galerie de mine qu’elle a forée et qui a fleur de sang. 
 
 
Antonin Artaud développe une conscience de ce qu’il est rejeté par la « littérature » alors que celle-ci, pourtant, est sa seule chance d’expression. 
 
 
Seul contre tous, bien sûr telle est la condition. 
 
 
Si vous dites « ceci n’est pas un poème, un roman, un essai » vous vous suicidez sui generis. 
 
 
Personne ne veut porter la camisole d’Artaud. Et surtout pas lui… Question d’intégrité… Il est mort. Ce qu’il a écrit reste à lire, là, tout proche : langues, articulation, apocalypse. 
 
 
…Comme, si je me souviens bien, à Saint-Martin-de-Londres, la montagne déchirée en deux par le soleil… Nous entrons maintenant dans le cloître… les cellules… le resserrement… 
 
 
Le théâtre, c’est le rassemblement. Voici même le sens de « théâtre », celui que je lui vois : rassemblement. Ce n’est pas celui du poème. 
 
 
Mais, Pound : « je rassemble les membres d’Osiris ». Dispersion. Vivaldi. L’oubli des manuscrits. 
 
 
Le rassemblement des forces. Celui des « gens »… L’a-semblé. La religion, l’ecclésia… 
 
 
Artaud : « Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes ». Il veut le théâtre pour intérieur de l’action. 
 
 
Je vais au théâtre : j’entre. Je monte. Sans objet devant. 
 
 
De toute façon tu es lié à des vivants, si ce n’est tous. 
 
 
Ou bien l’écrit se déroule-t-il en discours ? Le lecteur peut-il penser qu’il y a un théâtre sur la page ? Le « chant noté », par degrés polis, sur le moment, un théâtre dans l’air et une assemblée sur terre. Nous y étions ? 
 
 
Le discours est dehors. 
 
 
Au Théâtre du Globe, la chair poussée à bout, dans le martèlement des consonnes qui exultent. Les « spectateurs » mêlés aux acteurs. Et cependant la distance « historique ». Nous sommes aujourd’hui avertis de l’hystérie et de la délégation (de la procuration). Trop ? Les réalités intimes sont prises avec des pincettes… Cinéma… ne bouge pas d’un iota. À la différence de Dante : « move cio ch’el tocca »… 
  
 
Il y a en l’humain une peur atavique de la morsure qui fait qu’il parle entre ses dents quand il s’applique à la civilisation. 
 
 
Voyez-vous, ils ne sont pas transparents les êtres, ils retiennent des énergies, venues de l’extérieur, des « influences », venues de loin et qui les traversent, parfois, avec beaucoup de bruit, ou de torsions tues. L’humain, au fond, a une petite tête qui protube de sa carapace –  et son esprit est lent, qui ne se laisse pas aller avec le courant. 
 
 
 
 
 
Mais enfin l’homme n’a peut-être fait qu’apparaître sur Terre --- et mordre dans le vert, le vers, le Verbe. 
 
 
 « Mange ta salade ». Qu’est-ce qu’Edmond Rostand pouvait savoir en 1897 (Antonin a deux ans) d’un mousquetaire casqué ? 
 
 
© Claude Minière, [à suivre mercredi 1er octobre 2014]  
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Lire la séquence ici  
 


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