Présenté en sélection officielle au Festival International du Film de Venise, 3 cœurs est le dernier film de Benoît Jacquot. Ce triptyque amoureux aux allures de thriller, plein de promesses, déçoit par une mise en scène ennuyeuse, malgré l’excellente interprétation du trio Benoît Poelvoorde, Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni.
Marc (Benoît Poelvoorde), contrôleur fiscal, effectue régulièrement des voyages en province. Après avoir raté le train du retour, il erre dans la petite ville déserte. À cette occasion, il fait la rencontre de Sylvie (Charlotte Gainsbourg). À l’issue d’une nuit platonique, ils se séparent sur le quai de la gare avec la promesse de se retrouver, le week-end suivant, au jardin des Tuileries, à Paris. Sur le chemin, Marc est victime d’un infarctus. Sylvie, déçue, s’en va aux États-Unis avec son mari. Quelque temps plus tard, Marc revient dans la cité provinciale et fait la rencontre de Sophie (Chiara Mastroianni), la sœur de Sylvie. Ignorant cela, il la demande en mariage.
Sylvie (Charlotte Gainsbourg) et Marc (Benoît Poelvoorde)
3 cœurs s’ouvre sur une musique évoquant des cors de brume comme si l’on annonçait d’emblée un naufrage, en l’occurrence, le naufrage de cet homme que l’on suit, l’air perdu dans un bar, sans savoir comment il va occuper sa nuit. C’est ainsi qu’il aborde Sylvie. Pour passer le temps. De son propre aveu, c’est un coureur de jupons et il déclare n’apprécier que le premier moment des relations, ce moment où il pénètre l’intimité des femmes. Au premier abord, il est plutôt flippant ce bonhomme quand on y réfléchit. Mais ici, Sylvie accepte de lui tenir compagnie la nuit durant. C’est dans ce premier temps , où le film peine à mettre en scène un véritable coup de foudre, que se joue le malaise qui s’ensuit au visionnage du long-métrage. Si les deux personnages passent la nuit à déambuler, c’est semble-t-il, davantage parce qu’ils s’ennuient et qu’ils sont également tristes. Le rendez-vous qu’ils se fixent semble plutôt tenir d’une tentative de conclure. Surtout en ce qui le concerne. Il a après tout avoué être un Don Juan durant la soirée. Leur histoire ne semble donc pas promis à un incroyable avenir. Bizarrement, et ça ne colle pas, le reste du film est basé sur un coup de foudre qui n’a pas vraiment eu lieu.
Sophie (Chiara Mastroianni) et Marc (Benoît Poelvoorde)
Les différents moments du film sont coupés par une voix off hors de propos qui ne correspond à aucun témoin. Celle-ci s’applique à expliquer où en est Marc. L’effet de style est à la fois inutile et assez lourd. L’intention est certainement de donner un cachet dramatique supplémentaire. On ressent davantage un péché d’orgueil, comme si, le scénario était si exceptionnel qu’il fallait aussi nous faire profiter des notes de bas de pages. Avec un postulat de départ mal exploité, le désespoir qui étreint Sylvie n’est pas crédible ni celui de Marc d’ailleurs. Marc file un parfait amour avec Sophie. Ce qu’il n’a jamais qu’effleurer avec sa sœur. Alors, oui, bien sûre, on se dit que la situation est gênante mais Marc pourrait parler à Sophie, lui expliquer l’amourette qu’il avait vécu avec sa sœur. Quant à Sylvie qui accepte de venir au mariage de Marc et Sophie, elle a construit sa vie aux États-Unis avec compagnon (Patrick Mille). Ce qui ne colle pas, c’est que Marc et Sylvie sont dans un premier temps gênés pour Sophie. Ils sont mal à l’aise, c’est naturel. Mais ils pourraient régler le problème en avouant leur passif. Passif, rappelons, terriblement faible. Avouons que le scénario serait alors peu dramatique. Cependant, le film s’enlise en prenant encore un virage maladroit.
Sophie (Chiara Mastroianni), Colette (Catherine Deneuve) et Sylvie (Charlotte Gainsbourg)
D’un côté, la vie conjugale de Marc et Sophie prend du corps avec l’arrivée de leur enfant. D’autant plus que Sylvie repart aux États-Unis tandis que Marc, d’après la voix-off, oublie jusqu’à son existence, heureux dans sa vie de famille. Jusqu’au quarantième anniversaire de Sylvie qui vient les fêter en France conjointement au soixante ans de sa mère (Catherine Deneuve, qu’on a vu cette année Dans la cour ou magnat des casinos). À partir de là, le scénario s’enlise et s’éternise, Jacquot tentant de combler l’ennui avec l’usage exagéré de ses cornes de brumes censées souligner le drame. Sylvie et Marc se livrent à un drôle de jeu, se fuyant et se rapprochant alternativement. Poelvoorde et Gainsbourg sont saisissants pour jouer la tristesse. Poelvoorde n’est jamais meilleur que lorsque qu’on lui offre des drôles dramatiques. Mais, fait surprenant et restabilisant, on a l’impression qu’on a oublié de jouer la passion. Et c’est dramatique, leur histoire d’amour ne fonctionne pas. Tout le jeu des acteurs est concentré sur le pathétique de la situation. L’impasse est faite sur l’amour qui est censé les relier. Il ne suffit pas de mettre en scène un plan cul sauvage dans une cabane de jardin pour figurer la passion qui anime deux êtres amoureux. Il n’y a ici que douleur, accompagnée de musique lancinante. En conséquent, on s’ennuie profondément car on ne peut pas apprécier à sa juste valeur l’histoire d’amour qu’on nous offre. Sophie nous attriste, Sylvie nous énerve et Marc n’amène aucune empathie.
Sylvie (Charlotte Gainsbourg) et Sophie (Chiara Mastroianni)
3 cœurs, si l’on se dotait d’un système de notation, ne les mériterait pas. Les acteurs sont convainquants dans le registre qu’on leur a demandé mais la mise en scène de Benoît Jacquot pâtit d’une emphase constante et inutile. 3 cœurs, film pompeux, passe à côté de l’exaltation de sentiments contraires qu’aurait pu engendré un scénario intéressant.
Boeringer Rémy
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