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Christian Maurel, nous ne sommes pas, et n'avons jamais été en démocratie !

Par Alaindependant

Il s’agirait alors de s’engager dans une pratique instituante de communs (eau, énergie, savoirs, culture, éducation…) qui ne seraient privatisables  et appropriables  ni par le marché ni par les Etats, et qui relèveraient  ainsi d’un droit d’usage bien plus que d’un droit de propriété. Selon Pierre Dardot et Christian Laval, le « commun » devient ainsi un principe politique guidant un processus de co-activité démocratique instituant des communs inappropriables. Cette co-activité démocratique et instituante est comparable à la conception que Marx  et d’Engels se faisaient du communisme: « Pour nous le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données telles qu’elles existent actuellement » (L’idéologie allemande / Pléiade, p 1067).

Prenons connaissance plus avant de l'intervention de Christian Maurel.

Michel Peyret

Frioul 2014. Intervention de Christian Maurel

12 JUILLET 2014 |  PAR Collectif Camedia

S.Gonzalvez et D. Lafontaine

Comment les citoyens peuvent-ils reprendre l'initiative politique?

Cette intervention s’alimente à plusieurs sources : une expérience militante et professionnelle en éducation populaire (MJC, Universités populaires), des travaux de recherche sociologique, des lectures, la réflexion du collectif national « Education populaire et transformation sociale », l’élaboration collective d’un travail visant à répondre à la question suivante : quelle(s) alternative(s) démocratique(s) à la délégation de pouvoir ?

Répondre à la question posée suppose que l’on réponde préalablement à la question suivante :

Dans quel régime politique vivons-nous ? 

Nous ne sommes pas et n’avons jamais été en démocratie. C’est un abus de langage que de le dire. Nous sommes en fait dans une « aristocratie élective » (Rousseau) délégataire et représentative (Sieyès) qui a dérivé vers une aristocratie héréditaire oligarchique. Elle est héréditaire sociologiquement et quelques-fois même familialement par transmission des charges et des mandats. Elle est oligarchique (souveraineté d’un petit nombre) et matinée de ploutocratie (pouvoir des plus riches indirectement ou directement), de technocratie (importance des experts / « énarchie ») et souvent de gérontocratie (poids des plus anciens), ce qui peut expliquer que les plus jeunes ne s’y reconnaissent pas.

 On comprend alors pourquoi, selon une enquête de décembre 2013 (IPSOS/CESE), 87% des français considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent.

Comment sortir de cette situation qui peut nous conduire au fascisme ou au chaos, où seule règnerait la loi du plus fort et où l’homme redeviendrait « un loup pour l’homme » (Hobbes) ?

Les Hommes doivent prendre leur destin en main et reprendre l’initiative politique. Voici ce que nous proposons à discuter et à mettre en place :

- définir ou redéfinir une démocratie possible et réalisable qui s’inspire d’une longue tradition philosophique et politique qui va d’Aristote à Paul Ricœur et qui peut se formuler ainsi : est démocratique une société qui se reconnait divisée, c’est-à-dire  traversée de contradictions d’intérêt, mais qui s’attache à donner à chacun et à parts égales, le droit, la possibilité et les compétences de s’exprimer sur ces divisions, de les analyser, de faire des propositions, d’en délibérer en vue de les arbitrer.

- pour mettre en place ce type de démocratie qui engage les individus sur toutes les questions qui peuvent les concerner, il faudra changer les institutions politiques républicaines en place, ce qui suppose l’élaboration d’une nouvelle constitution et, sans aucun doute, le passage par des Etats Généraux de la transformation sociale et politique mobilisant l’ensemble de la population et pas seulement les actuels citoyens.

- Cela impliquera que chacun devienne co-élaborateur des lois, règles, programmes et politiques publiques, et  à avoir autorité sur l’économie, la production et le partage de la richesse et des biens nécessaires à une vie bonne.

Ainsi la souveraineté politique ne saurait s’aliéner, même par un vote délégant cette mission à des citoyens « librement » choisis. Les votes porteraient sur ce qui nous apparait l’objet essentiel de la vie politique (constitution, projets de lois, programmes) et non sur des personnes, celles-ci pouvant être tirées au sort avec possibilité de révocation respectueuse du droit. « Il est démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort, et oligarchiques qu’elles soient électives » écrivait déjà Aristote dans Politique IV, 9, 4.

Il s’agirait alors de s’engager dans une pratique instituante de communs (eau, énergie, savoirs, culture, éducation…) qui ne seraient privatisables  et appropriables  ni par le marché ni par les Etats, et qui relèveraient  ainsi d’un droit d’usage bien plus que d’un droit de propriété. Selon Pierre Dardot et Christian Laval, le « commun » devient ainsi un principe politique guidant un processus de co-activité démocratique instituant des communs inappropriables. Cette co-activité démocratique et instituante est comparable à la conception que Marx  et d’Engels se faisaient du communisme: « Pour nous le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données telles qu’elles existent actuellement » (L’idéologie allemande / Pléiade, p 1067).

Mais pour cela, il faut des démocrates ayant les compétences juridiques, éthiques et intellectuelles permettant de réaliser collectivement la démocratie, en quelque sorte « un peuple de Dieux » (Rousseau, Contrat social, III, 4).  Cela implique :

   * de former des habitus politiques démocratiques avec des aptitudes à s’exprimer, à analyser, à proposer, à délibérer et à arbitrer.

   * de transformer les missions du système d’enseignement  dans le sens de l’institution, de la pratique et de la préservation démocratiques des communs ainsi que dans le développement de facultés politiques nouvelles qui ne se limitent pas à l’acquisition de savoirs utiles à une insertion professionnelle et sociale conforme aux exigences actuelles du marché. A ce titre, le projet d’Instruction publique défendu par Condorcet en 1792 a encore du sens.

   * de continuer par une éducation populaire associative et une pratique des médias qui auraient des missions multiples et convergentes : expérimentation, conscientisation, émancipation, augmentation de la puissance individuelle et collective d’agir débouchant sur la transformation  de soi et des rapports sociaux et politiques. « Sois toi-même le changement que tu voudrais voir advenir » disait Gandhi.

Ce mouvement « d’énergie  démocratique du vivre et penser ensemble » est engagé.

Les expérimentations sont nombreuses et dans multiples domaines : économies sociales et solidaires, villes, quartiers et villages, politiques publiques impliquant les habitants, co-construction, transmission et partage des savoirs, mouvements sociaux, associations et collectifs d’habitants, création artistique participative…). Partout, sous la forme de « millions de révolutions tranquille » (Bénédicte Manier), des gens s’associent dans la construction de communs, dans la production et le partage de richesses et de savoirs, dans la définition démocratique des rapports sociaux. Un monde nouveau est en marche. Nous sommes en tension entre deux visions, l’une d’un réalisme saisissant, l’autre beaucoup plus optimiste :

   - « Il n’y a aucun niveau de souffrance humaine qui, en soi, va faire changer les politiques » (Susan George pour le collectif Roosevelt).

   - « Cet émiettement continu qui n’altérait pas la physionomie du tout est brusquement interrompu par le lever du soleil qui, dans un éclair, dessine en une fois la forme du nouveau monde » (Hegel. Phénoménologie de l’Esprit, préface).

Christian Maurel, sociologue, ancien universitaire et délégué régional des MJC. Derniers livres parus : Education populaire et puissance d’agir. Les processus culturels de l’émancipation, L’Harmattan, 2010 ; Horizons incertains. D’un monde à l’autre, L’Officine, 2013 (roman).

 

Intervention du samedi 5 juillet 1014 à Marseille/Frioul pour la cinquième "Rencontre avec Médiapart"

La vidéo : Pour passer en plein écran cliquez sur Youtube


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