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Le serviteur de Madame

Publié le 04 octobre 2014 par Dubruel

d'après ALEXANDRE de Maupassant

Comme tous les jours à quatre heures,

Alexandre, en fidèle domestique

Promenait pendant plus d’une heure

Dans une petite voiture de paralytique

Mme Carette, sa patronne impotente.

Son mari, Joseph Carette,

Capitaine en retraite,

Était connu

Pour sa mauvaise humeur permanente.

On pouvait l’entendre depuis la rue

Tant il vociférait fort et sans arrêt.

Elle, par contre, était considérée

Par tous,

Aimée par tous.

Autrefois, Alexandre avait été

L’ordonnance de l’officier.

Maintenant, il servait les deux retraités.

De ce long service dévoué, était né

Entre Mme Carette et son valet

Une espèce de familiarité

Qui, pour lui, était respectueuse

Et, pour elle, affectueuse.

Entre eux, ils parlaient avec liberté

Comme on le fait

Entre gens égaux.

Leur principal sujet de causerie

Était le caractère du capitaine, aigri

Par une carrière commencée avec brio,

Mais écoulée sans avancement

Et terminée sans lauriers.

Carette était mal levé, quotidiennement !

-« Ça lui arrive trop souvent

Depuis qu’il a quitté l’armée. »

-« Oh ! Madame, ça lui arrivait déjà avant. »

-« Ça c’est vrai. À vingt ans,

Il espérait être colonel à sa retraite

Mais il a atteint la cinquantaine,

Sans pouvoir aller plus haut que capitaine. »

-« Qu’ainsi, moi Alexandre, il me traite,

Soit. Mais vous, Madame, c’est différent. »

-« Comme nous sommes mariés,

Il est naturel que je le supporte

Mais je ne saisis pas

Que, vous, si longtemps, vous l’ayez enduré. »

D’une voix forte,

Alexandre s’écria :

-« Oh ! Moi,…madame,…je ne compte pas. »

-« Vous étiez son ordonnance quand il m’épousa

Et vous ne pouviez que le supporter.

J’y ai souvent pensé.

Mais, depuis, pourquoi êtes-vous resté

Avec nous alors que vous auriez pu vous marier,

Créer une famille, avoir des enfants ? »

-« Oh ! Moi, madame, c’est différent. »

Puis Alexandre se tut, plein d’hésitations.

Madame Carette suivait sa pensée :

-« Vous avez reçu de l’éducation…»

Il l’interrompit avec fierté :

-« Oui. J’avais étudié

Pour être charpentier. »

-« Alors, pourquoi êtes-vous resté ici

À gâcher votre vie ? »

-« C’est comme ça. C’est la faute de ma nature.»

-« Comment… de votre nature ? »

-« Oui, quand je m’attache,

C’est fini, je m’attache. »

-« Ce n’est pas la douceur de M. Carette

Qui vous a attaché à lui pour la vie. »

Alexandre agita la tête

Et murmura : -« C’est pas lui,

C’est vous, madame ! »

La vieille dame

Qui avait une figure très douce

Couronnée par une coiffure frisée rousse.

Du plus bel effet

Fit un mouvement oblique

Et contempla le domestique

Avec des yeux étonnés :

-« Moi ? Comment ça ? »

Alexandre se mit à regarder de ci de là

Au loin, puis de côté

Comme font les hommes timides forcés

D’avouer un secret honteux.

Il déclara avec le courage du troupier

À qui on ordonne d’aller au feu :

-« C’est comme j’ vous l’ disais.

Quand j’ai porté

Une lettre du lieutenant

À mademoiselle

Et que mademoiselle

M’a donné un franc en me souriant,

Ce fut décidé. »

Comprenant mal, elle insistait :

-« Voyons, expliquez-moi ça. »

Alors Alexandre jeta

Comme un criminel avoue un attentat :

-« J’ai un sentiment pour madame. Voilà. »

Mme Carette, pleine de sensibilité,

Ne répondit rien, cessa de le regarder

Et songea, non sans raison,

Au dévouement de ce pauvre garçon

Qui avait tout abandonné

Pour vivre à côté d’elle,

Sans rien dire. Elle eut envie de pleurer.

Puis, prenant un air grave, mais point fâché :

-« Rentrons, Alexandre, s’il vous plait. »

Dit-elle.


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