Photo de Frédéric Boilet présentant 286 jours, Ed. Impressions Nouvelles, janvier 2014. © Frédéric Boilet
J'étais en train de fouiller de fond en comble le rayon photo d'une librairie la première fois que 286 Jours est tombé entre mes mains. Je l'ai ouvert, l’ai feuilleté rapidement, et mon premier jugement ne fut pas des plus tendre. Quel est l’intérêt de ce livre de photos d'amateur, dont la qualité des images est tout juste bonne pour un album souvenir ? Je reposais donc ce livre rapidement en espérant ne jamais le croiser à nouveau. Sauf qu'aujourd'hui ce livre est chez moi. Quelques semaines après la découverte de l'ouvrage en question, j'ai appris que Frédéric Boilet est avant tout illustrateur, et non un photographe (sans blague ?) – Laia Canada ne semblant pas avoir une grande pratique de la photo non plus –, et que le livre ne prétend donc pas avoir un intérêt photographique. J'ai alors décidé de reconsidérer l’ouvrage, lui portant un regard neuf et en faisant abstraction de la mauvaise qualité des photographies (même s’il faut se l’avouer, ça pique vraiment les yeux parfois).
Je peux concevoir qu'une accumulation de photos qu'on pourrait dire “ratées” n'engendre pas nécessairement un mauvais travail seulement si une certaine force se dégage du cliché. Un flou, un contraste trop bas, ou un bruit visible peut servir une émotion désirée par l'artiste. Le livre en question propose des sous-expositions, des sur-expositions, des cadrages laissant à désirer, des flous présents à chaque page. La composition de ces dernières est une addition d'images qui, si elle avait été plus poussée, aurait pu renforcer l'idée de “patchwork” qui sert le livre. Malheureusement ces défauts ne font ressortir de 286 jours qu'une lassitude accablante, voir une déception qui n'est certainement pas désirée par les auteurs.
Photo de Frédéric Boilet extraite de 286 jours, Ed. Impressions Nouvelles, janvier 2014. © Frédéric Boilet
286 jours est un livre qu'on ne retrouve jamais dans le même rayon d'une librairie à une autre : tantôt c'est un roman graphique, tantôt c’est une BD, voire parfois même un livre érotique (ce qui est légèrement tiré par les cheveux à mon sens). Peu importe sa catégorie, l’œuvre conte une histoire d'amour entre une jeune étudiante en arts espagnole et un illustrateur français qui a de la bouteille. Une histoire d'amour qui s'ajoute donc à la déjà très (trop ?) longue liste de récits de concubins et de concubines, donnant raison, une fois de plus, aux Rita Mitsouko : les histoires d'amours finissent mal en générââââââââl.
Le livre est assorti de quelques bonnes idées. Par exemple, les extraits d'échange de SMS des deux amants sont un plaisir à lire grâce à la subtile répartie de Laia Canada. Malgré tout, le livre s'apparente plus à des souvenirs de vacances durant lesquelles on se serait ennuyées.
“It isn't the story of juste me. It's the story of the both of US!” répond Laia à Frédéric. La volonté de montrer les deux points de vue de l'histoire n'est pas respectée : les images de Laia Canada sont bien plus présentes que celles de Fréderic Boilet. Le livre devient donc un merveilleux recueil de photo de la jeune femme : Laia Canada nue dans le jardin, Laia Canada nue dans la chambre, Laia Canada nue à la plage, Laia Canada nue aux pieds de Frédéric. Bref, devinez qui a monté l'ouvrage, laissant passer à la trappe les prises de vue de sa chère et tendre. Le regard que l'homme pose sur son "bébé", comme il la surnomme lui-même, s'apparenterait presque à celui d'un voyeur. Il l'observe dans chacune des pièces de la maison, tandis qu'elle se prête au jeu, telle une enfant capricieuse.
Photo de Frédéric Boilet extraite de 286 jours, Ed. Impressions Nouvelles, janvier 2014. © Frédéric Boilet
L'œuvre propose une intrusion dans l'intimité la plus profonde du couple, leurs repas, leurs ébats, leur sommeil, tout est dévoilé. À l'heure où les réseaux sociaux semblent diminuer notre part de vie privée, les deux artistes livrent délibérément une intimité qui semble de plus en plus dure à conserver (coucou Jennifer Lawrence).
455 pages de photos ratées, est-ce le meilleure moyen de prouver l'étendue de l'amour qu'on porte à une personne ? J'espère que non. Mais la question que vous devez absolument vous poser avant de vous plonger dans 286 jours est : avez-vous vraiment envie de voir deux personnes enfermées dans une maison perdue au milieu de nul part (c'est à dire : les Vosges) et qui ne font absolument rien, à part, peut être, se rouler par terre et manger ? Non, vous n'avez pas envie de voir ça ; personne n'a envie de voir ça.
Elly.
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En librairie:
Laia Canada, Frédéric Boilet, 286 jours, Ed. Impressions Nouvelles, janvier 2014.
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Étudiante en licence d'arts plastiques à Strasbourg, je suis passionnée d'art et surtout de photographie. J'arpente les rues et j'explore la nuit pour y capturer des images que je poste ici : http://poneysonic.blogspot.com