En équilibre sur la dernière marche de l’échelle métallique dont les pieds s’enfoncent dans l’épais tapis de velours, Charlotte pousse le hublot. En un instant, la cage d’escalier est baignée de lumière. Comme si elle sortait d’un sous-marin, accédant à l’air libre, elle se hisse sur le toit puis nous tend la main.
Notre goûter empaqueté dans un sac en tissu – une bouteille de vin blanc et des madeleines de Commercy – nous lui emboîtons le pas. Plusieurs degrés plus haut, sur le toit qui restitue sous nos semelles la chaleur d’une journée d’août, le raffut de la circulation est étouffé.
Une forêt de cheminées rondes en brique nous sépare du vide. Au-delà, les toits se succèdent, chaque plan dévoilant un immeuble tarabiscoté, un appui de fenêtre fleuri, un pied de basilic cultivé avec soin dans une jardinière, une housse de couette qui prend l’air, une vie qui suit son cours derrière d’épais rideaux.
Sur les cimes des Batignolles, notre présence importune un couple de pigeons et les moineaux en rase-mottes entendent marquer leur territoire. Pas fous. Ils ont là un observatoire de choix.
Non sans satisfaction, je peux tout à loisir me livrer à mon activité favorite : observer les Hommes. Sans être vue, de notre vigie, je me plais à imaginer leur vie, d’où ils rentrent, quel est leur livre de chevet, quels prénoms ils ont choisi pour leurs têtes blondes, où est-ce qu’ils ont passé leur enfance, pourquoi est-ce qu’ils ont ri aujourd’hui.
Ils ont quitté la scène. Ils ont quitté le bal masqué au moment où ils ont glissé la clé dans la serrure de leur porte d’entrée. Pour nous, depuis notre perchoir, le rideau s’est ouvert sur la vraie vie.
Et cette vie est remplie de petits riens joyeux. On ne les voit plus, tant ils sont absorbés par notre affairement et notre obsession à courir après notre emploi du temps. Et pourtant, ces plaisirs minuscules, si nous les accueillions, nous aurions sans cesse le cœur léger. Il suffit d’ouvrir l’œil.