Nous allons vous parler d’un métier de nos jours disparu, les enfileuses de perles, en italien infilatricei di perle, devenu en vénitien impiraresse.
Depuis le XVème siècle, peut-être même plus tôt, et jusqu’à la moitié du XXème siècle, des millions de jeunes femmes à Venise ont pratiqué cette activité.
Les usines de Murano, les conterie, qui fabriquaient des perles en verre multicolores, donnaient ces perles à enfiler à la maison. Les femmes en faisaient alors des vêtements, colliers, boucles d’oreilles, sacs, ceintures… C’est ainsi qu’est né l’art de la impiraressa mot vénitien qui vient du verbe impirare qui signifie enfiler.
C’est un travail qui était réalisé uniquement par les femmes, le plus souvent devant la porte de leur maison, pour profiter de plus de lumière. Dans Castello, on pouvait encore en voir dans les années 1960. Elles étaient nombreuses et se regroupaient entre voisines et amies, animant les rues de leurs rires et de leurs discussions et commérages, les chiacchiere (le caciole delle done) avec de piquantes observations épicées sur les passants, avec la vivacité typique et la malice des femmes vénitiennes.
Elles travaillaient à un rythme rapide, plongeant les aiguilles dans une trame de fils de lin démêlés en éventail (les plus qualifiées travaillaient sur 120 fils en même temps). Les perles étaient dans une boite en bois, la sessola et, enfilées sur les fils qui étaient ensuite tramés, formaient le mazzette. Au milieu du XIXème siècle, on pouvait compter pas moins de 2000 femmes qui brodaient les perles dans les quartiers populaires de Venise. Mais c’était également le travail le moins bien rémunéré à la maison, et ces femmes commençaient dès l’âge de 18 ans, et continuaient pendant leur vie, car il s’accommodait bien des obligations de la femme au foyer de l’époque, des taches ménagères et des nombreux enfants… qui ne dérangeait ni les rythmes familiaux, ni l’ancrage local.
C’était un travail féminin extrêmement organisé. En effet, à côté des ouvrières, on trouvait les Mistre qui étaient les intermédiaires avec les usines, elles connaissaient tout le monde et fournissaient le travail et le matériel. De plus, il y avait un réseau étroit de relations entre les ouvrières, qui se manifestait sous la forme de solidarité en cas de besoin, mais aussi dans la conscience de leur classe. Les conflits sociaux etaient fortement suivis, quand il s’agissait d’améliorer les conditions de travail et les salaires. Ces périodes d’arrêt de travail avaient toujours quelque chose d’extraordinaire, car ils s’accompagnaient de danses, chants dans une ambiance confuse et mouvementée.
Nous avons retrouvé pour vous une de ces chansons de lutte des ouvrières perlières de Venise :
Semo tute impiraresse
semo qua de vita piene
tuto fògo ne le vene
core sangue venessiàn.
No xè gnente che ne tegna
quando furie diventèmo,
semo done che impiremo
e chi impira gà ragion.
se lavora tuto il giorno
come macchine viventi
ma par far astussie e stenti
tra mille umiliasiòn
semo fìe che consuma
dela vita i più bei anni
per un pochi de schei
che no basta par magnar
Anca le sessole pol dirlo
quante lagrime che femo,
ogni perla che impiremo
xè na giossa de suòr.
per noialtre poverette
altro no ne resta
che sbasàr sempre la testa
al siensio e a lavorar
Se se tase i ne maltrata
e se stufe se lagnemo
come ladre se vedemo
a cassar drento in preson
Anca le mistra che vorave
tuto quanto magnar lore
co la sessola a’ ste siore
su desfemoghe el cocòn!
… que voici, chantée par Luisa Ronchini (1933-2001) :