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Le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier de Caravage et l’ignudo de Michel-Ange

Publié le 08 octobre 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Caravage, que d’autres, moins intimes préféreront appeler par son vrai nom, Michelangelo Merisi, a peint ce tableau aux alentours de 1602. De dimensions modestes (129 x 94 cm), l’œuvre a été commandée par le riche Ciriaco Mattei et fait partie d’un ensemble de sept peintures représentant Jean-Baptiste à différents moments de sa vie. Certains d’entre eux sont considérés comme ayant une origine controversée, n’étant peut-être pas peints par le maître lui-même. Le modèle est connu, c’est un jeune garçon du nom de Cecco, qu’on retrouve dans plusieurs des toiles du peintre, comme par exemple le Bacchus (1596) ou la vocation de Saint-Matthieu (ca. 1599).

Michelangelo Merisi da Caravaggio - le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier - 1602 - 129 x 95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Michelangelo Merisi da Caravaggio - le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier - 1602 - 129 x 95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

La licence artistique représente souvent Jean-Baptiste avec ses deux attributs : la peau de bête et le bâton croisé, mais ici Caravage décide de retourner à la tradition du Livre en n’adoptant pas la peau de mouton mais la peau de chameau. Quant au bâton croisé, il n’est pas présent, ou plutôt il n’est qu’évoqué au travers d’un morceau de bois grossier qu’on retrouve coincé sous le pied gauche du saint. C’est sur ces points qu’on peut dire que l’œuvre du Caravage n’est plus une œuvre sacrée, mais transversale entre sacré et profane. Ce qui frappe également, c’est que la représentation traditionnelle de Jean-Baptiste le fait être accompagné d’un agneau, symbole du martyre du Christ à venir, « l’agneau de Dieu » étant le surnom même de Jean-Baptiste. En l’occurrence, ce n’est pas un agneau mais bel et bien un bélier. On soupçonne alors Caravage d’avoir voulu faire un pont entre les deux testaments avec l’évocation du bélier du sacrifice d’Abraham. Ainsi, il rapproche la figure du frère du Christ et Isaac, fils d’Abraham. Mais le bélier porte en lui un autre symbole ; celui de la débauche. La position du jeune homme enlaçant cet animal à la vertu douteuse peut être interprétée comme un symbole de luxure, bien loin du sacré supposé du thème pictural. On peut arguer également que la présence d’un bélier, le décor sombre mais bucolique du fond du tableau, ainsi que la chevelure hirsute du personnage fait plus penser à une scène orgiaque de mythologie qu’à une scène religieuse. On se demande d’ailleurs pourquoi on trouve un morceau de tissu blanc, peut-être un drap, intercalé entre son étole et son corps. La feuille de raisin est autant un symbole de sacrifice, rappelant le rachat du pêché originel… que la vigne de Dionysos… Autant de petits indices qui laissent supposer qu’on n’est pas vraiment en présence d’une œuvre relevant du sacré.

Michelangelo Merisi da Caravaggio le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (composition) - 1602 - 129x95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

Michelangelo Merisi da Caravaggio le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (composition) - 1602 - 129x95 - Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca

En ce qui concerne la peinture elle-même, on remarque que la tableau se joue sur des lumières à la fois plus diffuses, moins tranchées que dans certains des plus grands tableaux de Caravage, comme justement la vocation de Saint-Matthieu qui reste un chef-d’œuvre du clair-obscur. On reste ici sur une palette très orange, avec une étole censée être rouge tirant sur le vermillon, et une carnation en lumière jaune. L’harmonie de teinte reste très serrée entre la peau du Saint, la laine et les cornes de l’animal, l’étole et le fond.

En ce qui concerne la composition, on peut dégager trois grandes lignes, des obliques partant du bas du côté gauche et quasiment parallèle. La plus basse suit le mouvement de la jambe droite, la seconde le bassin et la cuisse gauche, et la plus haute le creux du bras gauche replié sur lequel il prend appui jusqu’au bras droit enserrant le col de l’animal. Un autre grand ligne est une oblique partant du genou, remontant sur la hanche et enfin l’omoplate. Le tout compose les lignes principales d’un hexagone central.

Une autre grande ligne sépare le tableau en deux, passant par l’orteil du saint, sa hanche et l’œil du bélier, une grande ligne directrice qui pose l’axe principal du sujet et une fois de plus fait prendre au bélier une place primordiale dans le sujet.

En ce qui concerne la position du sujet, on en retrouve trace dans une œuvre antérieure, précisément dans une des plus grandes œuvres de la chrétienté ; le plafond de la chapelle Sixtine peint par Michelangelo Buonarotti, datant de 1509. La position du jeune Saint Jean-Baptiste est une citation directe d’un des personnages composant le groupe de la Sibylle d’Erythrée, un ignudo (nu). Ce personnage, représenté ci-dessous, possède une musculature puissante, comme presque tous les personnages de cette fresque, mais il a en plus subi une rectification, une diminution du volume de son bras droit. On observe que celui-ci est représenté dans une position parfaitement improbable ; la torsion entre ses hanches et ses épaules ne produit pas de torsion des muscles du buste et des abdominaux.  On sait que Michel-Ange avait pris le parti de peindre ces personnages comme des figures idéales. Caravage, lui, prônait une bonne peinture qui imite la nature, une reproduction fidèle et non pas une idéalisation de la forme. Ainsi, cette scène est-elle certainement un pied-de-nez à Michel-Ange plutôt qu’une citation directe en forme d’hommage, sentiment renforcé par le sourire narquois et le regard frontal (pour ne pas dire effronté) du modèle, qui semble comme se moquer du peintre de la chapelle Sixtine.

Michelangelo Buonarotti - Ignudo - Chapelle Sixtine - 1509 - 756x1180

Michelangelo Buonarotti - Ignudo - Chapelle Sixtine - 1509 - 756 x 1180

Cet ignudo se situe très exactement entre les scènes de Noé rendant grâce à Dieu et le Déluge, dans le premier quart gauche du plafond.

Michelangelo Buonarotti - Chapelle Sixtine - Plafond - 1509

Michelangelo Buonarotti - Chapelle Sixtine - Plafond - 1509


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