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Un roi sans divertissement [Jean Giono]

Publié le 09 octobre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Bonjour à tous,

Après vous avoir présenté deux romans très contemporains, je reviens vous parler d'un classique : Un roi sans divertissement de Jean Giono. Si vous me suivez sur Facebook, vous savez probablement que j'ai adoré ce roman, alors je ne vous fait pas patienter plus longtemps et je vous laisse tout de suite avec la chronique de ce nouveau coup de cœur !

Petite précision avant de commencer : non, je ne vous parlerai pas de la citation de Pascal : « un roi sans divertissement est un homme plein de misère », mais n'hésitez pas à m'en parler en commentaires si vous voulez rebondir dessus.

Un roi sans divertissement [Jean Giono]Le livre est parti parfaitement au hasard, sans aucun personnage. Le personnage était l’Arbre, le Hêtre. Le départ, brusquement, c’est la découverte d’un crime, d’un cadavre qui se trouva dans les branches de cet arbre. Il y a eu d’abord l’Arbre, puis la victime, nous avons commencé par un être inanimé, suivi d’un cadavre, le cadavre a suscité l’assassin tout simplement, et après, l’assassin a suscité le justicier. C’était le roman du justicier que j’avais écrit. C’était celui-là que je voulais écrire, mais en partant d’un arbre qui n’avait rien à faire dans l’histoire.

L’histoire que nous propose Giono s’ouvre d’abord sur l’image d’un hêtre : beau et majestueux, on le retrouvera tout au long du roman de telle sorte qu’on pourrait presque le compter parmi les personnages principaux du livre.Mais l’arbre s’efface rapidement pour laisser la place à des protagonistes humains et à une intrigue concrète. C’est donc à Chichiliane et des années 1843 à 1845 que nous transporte le narrateur le temps de quelques pages. Vaguement et apparemment sans raison, il nous parle de ce village dans lequel personne ne va et dans lequel il n’y a rien à faire, de M. V., de son caractère mystérieux, des V. qui sont encore aujourd’hui à Chichiliane…Enfin, au terme de ces deux incipits, l’histoire, la vraie, semble enfin commencer grâce à une mise en abyme. Le narrateur fait en effet intervenir l’historien Sazerat en lui demandant de lui raconter l’histoire. Mais là encore, Giono le fait entrer en scène pour mieux le délaisser :
Je lui dis : « Marche, marche, tu ne me dis pas tout ! – Bien sûr que si, dit-il, qu’est-ce que tu veux que je te cache ? » – Evidemment, c’est un historien ; il ne cache rien : il interprète. Ce qui est arrivé est plus beau ; je crois. (p.13)
Dès le départ, le ton est donné : Giono ne veut pas interpréter ni comprendre, il ne veut pas tirer des leçons de cette histoire, il veut au contraire montrer la beauté en elle. C’est donc une belle histoire que Giono veut nous raconter grâce à ses talents de romancier

Et le lecteur ne sera pas déçu, car il y a de la beauté partout dans ce roman. Celle-ci vient surtout du fait que le roman est très visuel. Les couleurs, les contrastes et les dimensions s’impriment tout de suite dans l’esprit du lecteur et nous donnent vraiment l’impression d’être devant une toile. En effet, en le lisant, j’ai parfois eu l’impression que l’auteur écrivait un roman à partir d’un tableau ou d’une photographie, qu’il en déroulait une histoire entière, comme La Jeune fille à la perle de Tracy Chevalier.

A midi, tout est couvert, tout est effacé, il n’y a plus de monde, plus de bruits, plus rien. Des fumées lourdes coulent le long des toits et emmantellent les maisons ; l’ombre des fenêtres, le papillonnement de la neige qui tombe l’éclaircit et la rend d’un rose sang frais dans lequel on voit battre le métronome d’une main qui essuie le givre de a vitre, puis apparaît dans le carreau un visage émacié et cruel qui regarde. (p.15)
Ce paragraphe est selon moi un parfait exemple du talent de conteur de Giono : il nous décrit la scène de façon très picturale et imagée. Je ne sais pas ce que ça évoque chez vous, mais moi je vois une photographie en noir et blanc, légèrement pigmentée d’une petite touche de rouge.En définitive, la couleur rouge vif du sang sur la neige, la blancheur de celle-ci et l’immensité du hêtre sont des images qui restent vraiment ancrées en moi, qui me permettent d’illustrer ce livre et m’en donnent un souvenir d’autant plus fort.

Un roi sans divertissement [Jean Giono]


Et pourtant, l’histoire que nous raconte Giono est loin d’être belle. Le beau hêtre qu’il nous décrit dès la première page du roman (« je suis bien persuadé qu’il n’en existe pas de plus beau : c’est l’Apollon-citharède des hêtres. ») est étroitement lié à la mort ; c’est d’ailleurs comme s’il la portait en lui. De même, le sang sur la neige ne fait que nous préparer au meurtre et à l’horreur qui va suivre. Car l’intrigue de ce livre est parsemée de disparitions, de meurtres, de battues, de recherches,… C’est à la mort que nous sommes confrontés, elle est présente à chaque page.Mais malgré cela, il s’agit d’un livre plein de poésie, de beauté et de charme puisque le mélange de la beauté et l’horreur donnent de la puissance et de la force au roman. Ces deux éléments s’accordent parfaitement, de telle sorte qu’on est ému par la beauté sans en être aveuglé et oublier de quoi on nous parle.Mais la beauté d’Un roi sans divertissement vient également de la façon dont il est construit. Une des particularités de ce roman est notamment son rythme ternaire puisqu’on peut très facilement distinguer trois « petites histoires dans l’histoires ». De même, le roman se déroule sur trois ans, et les trios de personnages sont récurrents (je pense notamment à Langlois, Saucisse et Mme Tim). Cette présence très forte du chiffre 3, en plus de donner du rythme, une dynamique et une fluidité à la lecture, lui donne également beaucoup d’intensité.A l’inverse du chiffre 2, le chiffre 3 est selon moi plus ouvert. Souvenez-vous par exemple de Pierre et Jean ; une certaine dualité se dégage dès le titre et se vérifie tout au long de l'histoire : si l’un n’est pas le reflet de l’autre, il est son contraire. Chaque frère se définit en effet par opposition à l’autre, de telle sorte qu’il s’en dégage une impression presque manichéenne et au final assez réductrice. On nous présente un élément et son opposé, comme s’il n’y avait rien entre les deux, et rien au-delà. A l’inverse, le chiffre 3 ouvre selon moi le champ des possibles. On ne nous propose pas seulement la thèse et l’antithèse, mais également une autre alternative, une autre vision. Le chiffre 3 est comme une invitation, c’est comme s’il laissait le lecteur choisir, réfléchir et se faire sa propre vision des choses.La construction ternaire du roman introduit donc un certain mystère : en refusant l’option binaire et l’opposition de deux éléments, le romancier met le lecteur dans une position difficile puisqu’il lui est impossible de distinguer le bien du mal, la bonne de la mauvaise solution. De fait, nos questions restent sans réponse, la fin du roman est ouverte et chacun est libre de l’interpréter comme il le veut.Mais faut-il vraiment l’interpréter ? Ne doit-on pas au contraire se contenter d’en apprécier la beauté ? Si on se souvient du début de l’histoire et de la façon dont Giono a préféré la beauté à l’interprétation, on est tentés de penser qu’il ne faut pas chercher à en tirer une signification.

Un roi sans divertissement [Jean Giono]
→ MON AVIS

Tout d’abord, je voudrais vous dire à quel point j’ai été surprise par la narration. Au début du roman, je ne savais pas dans quoi je m’embarquais puisque la quatrième de couverture ne nous renseigne pas vraiment sur l’intrigue (sans compter le fait que je ne crois pas avoir vraiment lu ce résumé), j’étais donc un peu perdue dans la mesure où je ne savais pas quels éléments retenir des premières pages, et je n’arrivais pas à distinguer ce qui était important pour comprendre l’histoire de ce qui l’était moins. J’ai donc continué la lecture en essayant de me concentrer au maximum pour retenir le plus d’éléments possible.

Si Giono commence en nous donnant quelques indices de manière assez décousue (le hêtre, la scierie, Frédéric II, M. V., Chichiliane, la neige…), petit à petit, les éléments prennent sens les uns par rapport aux autres, et on comprend rapidement où il veut en venir. Cela peut-être déstabilisant au début, mais rassurez vous ça ne dure pas longtemps et c’est aussi ce qui nous permet de bien rentrer dans l’histoire puisqu’on a un peu tendance à se prendre pour un détective en essayant de résoudre le mystère !

Mais surtout, c’est la façon dont la beauté est mise au centre du roman qui m’a beaucoup touchée. Je trouve cela incroyable d’avoir réussi à écrire un livre aussi beau et touchant, alors que l’intrigue pourrait être celle d’un thriller assez glauque !

Ce roman, grâce à sa dimension très visuelle et picturale, et grâce à l’écriture très poétique de Giono, a stimulé ma sensibilité de manière unique. Très franchement, lire Un roi sans divertissement, c’est comme lire de la poésie. Ca glisse, ça fond, ça évoque des choses en nous, ça réveille des sentiments dont on ignorait l’existence… Quand je lis un roman, je m’attends souvent à y trouver un peu d’humour et d’ironie, beaucoup d’esprit critique et beaucoup de réflexion ; ce sont pour moi des éléments importants qui permettent vraiment de distinguer le roman des autres genres. A l’inverse, quand je lis de la poésie, j’attends surtout à y trouver de la beauté et j’aime qu’elle s’adresse à ma sensibilité et pas à mon esprit critique.
Ici, j’ai presque l’impression que c’est un poème que Giono a écrit, et j’adore quand les livres arrivent à me toucher à ce point. Je ne sais pas comment Giono réussit à faire naître son émotion, car son écriture « ne paye pas de mine » a priori, elle n’est pas particulièrement chantante ni légère ; mais c’est sans artifice et sans détour que Giono crée son univers et y embarque le lecteur. J'adore quand les livres me font réfléchir, mais j'aime encore plus quand ils me bouleversent à ce point et stimulent ma sensibilité.

Cela m'arrive rarement qu'un roman me touche à ce point et me transmette vraiment de l'émotion, mais Un roi sans divertissement est un de ceux-là et est donc un véritable coup de cœur. C'est définitivement un des romans que je citerai quand on me demandera à l'avenir quels sont mes livres préférés.

Avez-vous lu ce livre de Giono, ou y a-t-il un livre qui vous a beaucoup ému et que vous pourriez me conseiller ?

J'espère que cette chronique vous a donné envie de découvrir ce roman, en tout cas je vous le conseille vivement, c'est une merveille !

Bonne journée à tous !

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