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Un billet venu de très loin ……

Par Citoyenhmida

Je viens de recevoir un billet singé “JKB” et qui tombe vraiment à pic en ces moments où le débat sur l’identité et sur l’appartenance à telle ou telle civilisation dans un monde de plus en plus mondialisé.

Beaucoup de nos familles sont confrontées directement ou indirectement à ce genre de problématiques et chacun les règle selon ses convictions intimes.

JKB dans son billet nous parle d’une famille soudanaise, placée face à une autre mode de vie que celui auquel elle est habituée, se trouve déchirée entre respect des traditions et acceptation de l’autre.

Certains anciens de la blogoma reconnaitront le style particulier et le regard impitoyable d’une ancienne gloire de la toile marocaine, je crois la seule à avoir été traduite en plusieurs langues et à avoir vu ses textes publiées dans des revues. Un de ses textes a même été piraté par un quotidien local, qui a dû s’excuser de son forfait les protestations énergiques soulevées par cette bavure.

Je livre donc ce billet à votre lecture:

UN BEAU MARIAGE
MULTI-CULTURO-CONFESSIONNEL,
SAUF QUE….

Depuis quelques années, je suis devenue spécialiste des mariages à l’étranger. Vu mon parcours, je suis souvent invitée à des mariages outre-mer et j’avoue que je ne dis jamais non. Pour moi, c’est une occasion de renouer avec des amis de longue date mais aussi de faire un break de la vie frénétique actuelle.

Cette année, ma première destination pour un mariage (j’en ai encore deux sur la liste) était la Turquie, à Bodrum, une station balnéaire qui vaut vraiment le détour.

Mais ce n’est pas la beauté de Bodrum ni encore la légendaire gentillesse des turcs ni encore moins le savoir-faire des turcs en terme de tourisme dont j’ai envie de parler, mais c’est le mariage lui-même ou plus exactement le contexte sociologique qui a entouré cet évènement qui m’ont marquée, et surtout m’ont amenée à voir des vérités d’un angle assez révoltant.

D’abord une petite mise en contexte : j’ai été invitée par la sœur du marié, une amie soudanaise qui insiste pour que j’assiste à ce mariage en tant que “soutien moral”.

Son frère se marie avec son ex-meilleure amie…

Disons que mon amie n’avait pas donné sa bénédiction pour cette union pour des raisons de … euh… selon elle, d’incompatibilité de personnalité entre les deux amoureux…

De plus, vu la présence des parents de mon amie, je me devais de jouer au vigile :
« Attention éteints ta cigarette, y a ton père qui débarque… Ma chérie arrête de boire, tu vas finir par vomir sur ta mère ». Bref, je devais jouer le rôle d’amie basique…

Sauf que …

Le marié, un jeune soudanais qui, après de brillantes études à Londres, a une excellente situation à Dubaï et va bientôt s’installer dans une prestigieuse capitale européenne…
La mariée, une jordanienne qui vient d’une grande famille jordanienne, qui a eu une carrière assez intéressante mais qui est heureuse de suivre son mari et de tout laisser derrière elle … En somme, une belle histoire d’amour banal …

Sauf que …

Il est musulman… Elle est chrétienne … I

ll est noir … Elle est blanche …

Bodrum est l’endroit qu’ils ont choisi pour faire un pied de nez à tous les a-priori ..

Sauf que …

« Chose your seat but don’t chose your side » c’est-à-dire : « Choisissez votre siège, mais ne choisissez pas votre coté ».

La phrase qui accueillait les invités à la réception était pour le moins troublante … L’ambiance s’annonçait sympathique!!!

Côté soudanais: le père, la mère et deux tantes… Le père, un ancien opposant soudanais qui a vécu dans plusieurs pays arabes, a mené une vie assez aisée, entouré de dissidents politiques et de diplomates, et a fini par demander l’asile politique en Angleterre principalement pour obtenir le passeport pour ses enfants…Classique ! La maman, une soudanaise tout ce qu’il y a de plus normal…qui est venue avec ses sœurs pour assister au mariage de son fils unique qui va se marier avec une Massi7iya… Mais ce n’est pas grave la massi7iya en question a accepté la cérémonie de « katb al kitab », c’est à dire de se marier comme une musulmane …

Sauf que …

Côte jordanien: grande famille avec les tantes, les amis de la famille et les cousins… Le père est un homme d’affaires jordanien qui lui aussi a vécu dans plusieurs pays arabes… Une famille très soudée, au sein de laquelle tout le monde fait tout ensemble … Cette famille m’a un peu rappelé la mienne …

Sauf que …

Des deux côtés, beaucoup d’amis qui ont fait aussi le déplacement … et des 7achrinou comme moi 
La veille, était prévu un dîner prénuptial, cette nouvelle tendance qui permet aux deux familles de se rencontrer avant le mariage! Cela est très courant dans les mariages mixtes où les familles ne se voient que juste avant le mariage….
On devait tous se retrouver à 19 heures 30 pour que les bus nous déposent au restaurant. J’ai conseillé à mon amie d’entrer au restaurant avec ces parents … J’ai senti qu’elle avait tout de suite regretté de m’avoir invitée ! Je devais, je suppose, ne m’occuper que des cigarettes et du taux d’alcoolémie, pas vraiment des conseils en gestion familiale.
Bref ses parents arrivent, sa mère et sa sœur rayonnaient sous leur tenue soudanaise très colorée, les mains tatouées de henné noir jusqu’au coude …

Ma copine se tourne vers moi et me dit : « Ohhh elles sont mignonnes avec leur déguisement ! »
Scandalisée, je lui ai réponds que ce n’est pas un déguisement mais une tenue traditionnelle… Elle se rend compte de sa bourde et me dit : « Oui mais ici c’est exotique…
Je lui réplique sèchement de laisser ce genre de commentaire aux non-soudanais!

Deux bus arrivent, on était une quinzaine de personnes qui nous dirigions vers la même destination…

Et là, j’assiste au spectacle le plus désolant de toute cette mascarade…

Un bus unique était largement suffisant pour nous tous, mais les trois soudanaises se dirigent normalement vers le bus vide situé le plus loin, le père soudanais marque un temps de pause et monte avec les membres de sa belle-famille. Ma copine marque le même temps d’arrêt mais ne savait pas quel bus choisir, je lui prends la main et dit : « on va avec ta mère et tes tantes, on ne peut pas les laisser seules … »

Le trajet en bus était un plaisir pour moi. Les trois soudanaises m’ont expliqué qu’elles sont sensées pousser la « Tzaghrita » (les you-you pour les novices) une fois qu’elles aperçoivent le marié… Donc je devais prendre un cours accéléré de « tzarguit » à la soudanaise…

Sauf que…..

Nous sommes arrivés en dernier, j’étais derrière la famille soudanaise, je sentais l’excitation de ses dames… Elles voulaient faire une entrée grandiose… Elles ont vu le marié et elles ont lancé le petit rituel soudanais de « zgharit ».

Le marié… Le marié soudanais était sous le choc, ne savait plus où se mettre, entre la surprise, la honte et la gêne.

Il en a perdu ses couleurs, le pauvre soudanais !

La mariée et sa famille ne savaient pas où se mettre vu l’accueil glacial que le fils à réservé à sa mère et ses tantes.

Le père de la mariée s’est gentiment éclipsé en attendant que ce moment horrible passe …

Moi je continuais à « zaghreter », tout comme les soudanaises…

Ma copine a rejoint la famille jordanienne, choquée par cette expression tonitruante, pour expliquer, presque en s’excusant que c’est une coutume soudanaise ….

Le massacre a pris fin, la mère a pris son fils dans ses bras les larmes aux yeux. Personne ne saura si c’était des larmes de bonheur ou de tristesse, ou un mélange des deux !

Ma copine revient à la charge en me remerciant du soutien à sa famille, J’ai répondu que son frère méritait une paire de gifles et que son père aurait mieux fait d’imiter ce que Michael Jackson a fait! J’étais en colère, hors de moi! Je pensais que c’était le pire …

Sauf que …

Le diner est servi, free seating comme on dit. Et là encore un nouveau choc ! Devinez quoi ?

Les trois soudanaises se retrouvent dans une table, seules…

Le père soudanais s’était lancé dans des discussions très intéressantes avec ses amis jordaniens, mon amie était dans une autre table pour pouvoir boire son vin… Le marié avec sa chère moitié et je pense qu’il n’était pas remis du désastre de « tzaghrita » !

J’entraine avec moi un copain irlandais et une amie suédoise à la table des soudanaises, on a bien mangé, on a beaucoup ri … Cela leur a fait plaisir de parler à d’autres personnes !

Personne de leur propre famille n’a pensé à vérifier si tout allait bien…

C’est a ce moment que je me suis rendue compte de la colère qui montait en moi. J’avais envie de « foutre » une baffe à ma copine dont le seul souci était de ne pas se faire choper une cigarette à la main pour ne pas offenser sa mère ! Mais, en fin de compte, elle l’avait insultée d’une manière encore plus vicieuse…

J’avais envie de dire à ce père ses quatre vérités, lui avec son passé d’opposant, qui a sacrifié sa vie pour un Soudan plus ouvert…

J’avais envie de lui dire : « Mais de quel militantisme parles-tu, quand toi-même tu as honte de tout ce qui est soudanais en toi !!! »

Et enfin, le marié qui a entrainé sa femme dans cette mini-guerre intestine, alors que lui même a jeté les armes il y a bien longtemps et qu’il est passé de son coté à elle!

La soirée s’est terminée pour ma copine la tète dans la cuvette … Elle était vraiment anxieuse avant la soirée mais finalement elle a estimé que tout c’était bien passé …

Le lendemain, on eut droit à la cérémonie de mariage civil proprement dit à la mairie de Bodrum.
La même mascarade, les trois soudanaises d’un coté et le reste de l’autre…

A cette occasion, j’ai choisi de rester en retrait. Ce malaise n’est pas le mien pour que je le gère, je suis heureuse de me contenter de gérer les cigarettes et les verres en cachette!

La cérémonie a duré littéralement cinq minutes devant la maire de Bodrum… Une cérémonie bizarre et froide, aucun échange de vœux, aucune déclaration enflammée comme un pied de nez à la différence, un éloge à l’amour et à la tolérance…

Non rien! C’est sec et impersonnel ! Pourquoi ? Je ne m’en inquiétais pas à ce moment là …
La soirée commence…. La musique à fond… Tout le monde danse, tout le monde a l’air heureux … Moi dans mon coin, je regardais la mascarade…

Soudain les discours commencent …

Celui du père du marié, en anglais s’il vous plait… Il a remercié les invités, lancé un gentil mot pour la mariée, un autre pour son fils et puis c’est tout!

Puis, le père de la mariée prend la parole…

Son discours était inspiré de Nizar Kabbani et de Ahmed Darwish…

Il a parlé d’un mariage que les esprits refusent mais que Dieu bénit, il a parlé de deux pays qui s’unissent à travers ce mariage, de deux religions qui se retrouvent, de la faiblesse des esprits et la force de l’amour…

Tout le monde était en larmes…Il a regardé son gendre et il lui a dit à sept reprises : « Prends soin de ma fille ! ».

Comme si le fait de le répéter allait se transformer en une réalité …

L’assitance a compris  compris qu’il n’était pas sûr de ce détail…. Mais pourtant c’est lui qui a accompagné sa fille à l’hôtel …

J’ai quitté la fête juste après le discours… Je n’avais aucune raison de faire la fête ! …

Ce mariage m’a bouleversée à plusieurs égards…

Je me suis posée beaucoup de questions existentielles et je suis restée dans ma bulle pendant plusieurs jours après ces événements.

Comment on peut accepter la tolérance des autres quand on ne se tolère pas soi-même ?

L’ouverture d’esprit vaut-elle quelque chose quand nous jugeons indignes, nos propres origines aussi différentes soient elle de notre vie actuelle ?

Est-ce qu’une religion est meilleure que les autres ? De quel droit l’une prendrait-elle l’ascendant sur l’autre ? Même dans l’esprit de gens qui se prétendent pas pratiquants et ouverts d’esprit ?

Est ce que l’amour veut dire que j’ai le droit de minimiser les concessions de mon partenaire et de profiter de ma supériorité ?

Finalement, accepter l’autre signifie-t-il que je doive renoncer et me renier moi-même?


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