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Un samedi soir sur la terre des mots (3) : Mathias Enard

Publié le 11 octobre 2014 par Adtraviata

La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte du bûcher à l’aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, de condamnés à mort. Je ne te connais pas. Je connais ton ami turc ; c’est l’un des nôtres. Petit à petit il disparaît du monde, avalé par l’ombre et ses mirages ; nous sommes frères. Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l’a poussé vers nous, vers la poudre d’étoile, peut-être l’opium, peut-être le vin, peut-être l’amour ; peut-être quelque obscure blessure de l’âme bien cachée dans les replis de la mémoire.

Tu souhaites nous rejoindre.

Ta peur et ton désarroi te jettent dans nos bras, tu cherches à t’y blottir, mais ton corps dur reste accroché à ses certitudes, il éloigne le désir, refuse l’abandon.

Je ne te blâme pas.

Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage où tu penses pouvoir être porté en triomphe ; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant, lorsque la nuit arrive, tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur ; tu sais que la brûlure de l’alcool te précipite dans la faiblesse, dans l’irrésistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l’enfance, la satisfaction, le calme face à l’incertitude scintillante de l’obscurité.

Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l’éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mis en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c’est la disparition de tes peurs, la guérison, l’union, le retour, l’oubli.Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.

Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l’autre dans la nuit. »

Mathias ENARD, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud, 2010

En parcourant des yeux (et des doigts) une de mes bibliothèques pour le rendez-vous de ce soir, je suis tombée sur ce roman de Mathias Enard qui m’avait enchantée il y a quatre ans… Son début (dont je ne me souvenais pas) (forcément…) est mystérieux à souhait…

Sabine est en vadrouille ce soir, elle reviendra samedi prochain, mais Mina est loin de s’être égarée !


Classé dans:Les Mots lus

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