Magazine Culture

Rentrée littéraire 2014 : Blanès [Hedwige Jeanmart]

Publié le 15 octobre 2014 par Charlotte @ulostcontrol_
Hello,

Je reviens aujourd'hui vous présenter un nouveau roman de la rentrée littéraire. Celui-ci fait d'ailleurs partie de la deuxième sélection pour le prix Médicis... Il s'agit de Blanès,  le premier roman d'Hedwige Jeanmart !

Rentrée littéraire 2014 : Blanès [Hedwige Jeanmart]« Et si on allait à Blanès? C'était mon idée. Je l'avais lancée le samedi 10 mars vers onze heures du matin, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et aussi du fait que je le disais pou lui faire plaisir, sans soupçonner une seconde que cette phrase innocente serait celle qui me ferait chuter tout au fond du gouffre où je suis. Pourtant des phrases, j'en ai dit. J'ai trop dit je t'aime alors que je savais que cela le fatiguait, j'ai dit des choses intelligentes aussi, puis des conneries comme tout le monde. Mais je n'aurai pas survécu à cette phrase-là. Samuel a répondu pourquoi pas? Ça te dirait? J'ai dit oui ça me dirait, on n'est jamais allés à Blanès, ce n'est pas si loin, une heure en voiture depuis Barcelone, à peine plus. On s'est mis d'accord, on irait le lendemain. Le soir, on s'est couchés en chien de fusil dans des draps blancs comme un linceul, j'ai respiré son odeur du soir, un peu âcre, et senti la chaleur de sa cuisse sur laquelle j'avais posé la main. Je me suis endormie heureuse sûrement, sans doute, pourquoi pas? Je ne savais plus bien à présent, et le matin du dimanche 11 mars, en fin de matinée, nous avons pris chacun un livre et nous sommes partis pour Blanès. »

Ce qui m’a troublée dans ce roman, c’est à quel point l’histoire est terrible et légère à la fois. Terrible, parce qu’Eva doit faire face à une des épreuves les plus difficiles de sa vie : son compagnon Samuel est parti sans laisser de trace alors qu’ils rentraient tout juste d’une journée passée à Blanès. Il n’est jamais revenu, mais pour Eva c’est plus que ça, il n’est pas seulement parti : il est mort. « C’est une figure de style […] Je justifiai donc cette image par le fait une j’étais incapable d’en trouver d’autre qui reflète mieux le choc que m’avait fait sa disparition ». (p. 20) Et selon elle, cette disparition a forcément quelque chose à voir avec la ville de Blanès, quelque chose a du se passer là bas qui a poussé Samuel à partir.Eva est donc seule, et elle l’est d’autant plus que son entourage ne la comprend pas et ne la prend pas au sérieux. Sur un coup de tête, elle décide alors de retourner à Blanès pour revivre cette journée, espérant comprendre ce qui a bien pu se passer.En repassant par les endroits où elle est déjà venue avec Samuel, ce n’est pourtant pas « le petit détail » qu’elle cherche ; au contraire, on a plutôt l’impression que c’est une atmosphère et un état d’esprit en général qu’elle essaie de saisir.Pour mener son enquête, elle se lancera ainsi sur les traces de Roberto Bolaño, un auteur qui fascine les foules et qui attire les pèlerins à Blanès ; elle écumera également les restaurants, les kébabs, les campings et les hôtels de la ville. Eva erre dans cette station balnéaire, et malgré les nombreux touristes qui la peuplent pendant cette saison touristique, l’héroïne nous donne plutôt l’impression d’évoluer dans un espace vide et vaste.A travers la recherche d’un autre, on comprend que c’est dans une quête d’elle-même qu’Eva s’est lancée. Avec la perte de celui qu’elle aimait, c’est comme si elle prenait conscience de sa propre identité et qu’elle devait elle-même se réinventer. On sent bien d’ailleurs qu’Eva est dans une sorte d’entre deux : elle agit sans prendre de décision, comme si la force des choses la forçait à bouger alors qu’elle-même est dépourvue d’énergie. Elle apparaît également comme quelqu’un d’assez indécise : elle souffre de l’absence de Samuel sans s’en inquiéter vraiment, elle évolue dans la ville sans vraie raison, elle a des comportements qu’elle ne peut pas expliquer…De même, on sait ce qu’elle fait, ce qu’elle pense des gens et des événements qui l’entourent, mais on ne sait pas vraiment ce qu’elle ressent et quels sentiments elle éprouve. Eva a beau être le personnage principal du roman, c’est comme si elle était extérieure au roman et qu’elle était aux côtés du lecteur. Comme nous, elle est spectatrice de sa propre vie.L’atmosphère du roman est de ce fait assez nonchalante, mais elle n’est cependant pas fataliste du tout. Au terme de son errance dans Blanès, on sent finalement qu’Eva parvient à se reconstruire. Même s’il ne se passe rien et qu’elle n’enquête pas vraiment, j’ai apprécié le fait qu’elle ne se laisse pas aller à des émotions extrêmes et dévastatrices et qu’elle ne se morfonde pas sur elle-même. Hedwige Jeanmart nous montre ainsi que la vie continue, sans qu’on ait besoin de le décider, et sans que l’on sache vraiment comment.Une chose m’a toutefois peut-être un peu chagrinée : j’ai trouvé que l’histoire manquait parfois de relief et d’émotion. Et pourtant, j’en suis la première surprise, je ressors de cette lecture un peu troublée et plutôt convaincue. J’ai le sentiment d’avoir lu un livre vraiment intéressant et qui a vraiment quelque chose à dire. C’est un roman dont je me souviendrai longtemps –non pas parce qu’il est rocambolesque ou parce que les péripéties s’enchaînent à la vitesse de l’éclair– mais parce qu’il me laisse justement une impression trouble. D’ailleurs, je crois que si je devais définir ce roman en un mot, ce serait le mot « impression » : j’ai souvent eu « l’impression que… » pendant ma lecture, sans pouvoir affirmer quoi que ce soit avec certitude, et c’est cette indécision qui fait tout le charme du roman. On cherche tellement souvent à comprendre pourquoi et comment dans nos vies actuelles que j’ai été assez sensible à la part d’inconnu et de mystère qu’Hedwige Jeanmart s’efforce de préserver dans cette histoire ; cette sorte d’ « absence d’obligation du résultat » et ce renoncement à tout analyser m’ont beaucoup touchée. On ne peut pas tout comprendre, et surtout : on ne peut pas toujours comprendre ceux qui nous entourent. C’est quelque chose qui me touche beaucoup dans la vie de tous les jours, et j’ai trouvé qu’Hedwige Jeanmart portait un regard très juste sur cela.Il s’agit donc d’un beau roman que je vous conseille si vous avez envie de vous laisser surprendre, si vous êtes lassés des livres aux trop-plein de rebondissements et si vous n’attendez pas d’un livre qu’il vous fasse vivre des montagnes russes émotionnelles : Hedwige Jeanmart touche le lecteur avec simplicité et humilité.

En ce qui me concerne, Blanès fait incontestablement partie de ces romans qui vont me rester en tête pendant longtemps. Hedwige Jeanmart est une auteure que je vais essayer de suivre, car ce livre m’a donné très envie d’en savoir plus sur son univers !
Rentrée littéraire 2014 : Blanès [Hedwige Jeanmart]
« J'ai pris quelques affaires de toilette, deux livres que j'avais déjà lus et je suis partie, subitement convaincue que je devais retourner au plus vite là où le sens avait commencé à m'échapper, là où je l'avais laissé, tout de suite, avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il n'y ait plus aucune trace de Samuel, de moi, de nous et de ce qui s'était passé. » p.50 
« Ma seule certitude était qu'en proposant une excursion à Blanès j'avais déclenché un enchaînement de faits qui, comme des dominos, s'étaient entraînés l'un à la suite de l'autre en tombant, dans un gentil mouvement coordonné, jusqu'à ce que tout soit fini et sans que j'aie rien vu venir. » p.90

Si vous voulez en savoir plus, n'hésitez pas à aller lire cette petite et très chouette interview de l'auteure, ainsi que cette courte vidéo :

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Charlotte 266 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine