d'après IMPRUDENCE de Maupassant
Tout avait commencé
Par une rencontre au bord de l’Océan.
Puis fiancés, ils s’étaient aimés
Chastement.
Elle l’avait aimé
Parce qu’il était jeune et gentil.
Elle l’avait aimé
Parce qu’il est naturel aux jeunes filles
D’aimer les hommes qui ont un je ne sais quoi.
Pendant trois mois,
Henriette et Paul avaient vécu les yeux
Dans les yeux,
Les mains
Dans les mains.
Après le mariage, ils s’étaient adorés
D’une rage sensuelle et infatigable,
Faite de poésie véritable,
Et de caresses raffinées.
Mais peu à peu, sans se l’avouer,
Ils commencèrent à se lasser.
Ils s’aimaient encore mais n’avaient
Plus rien à faire qu’ils n’eussent déjà fait.
De temps en temps,
Ils retrouvaient une heure d’affolement
Suivie …d’une lassitude dégoûtée.
Un matin, Henriette dit à son mari :
-« Veux-tu m’emmener diner au cabaret ? »
-« Mais oui, chérie. »
-« Tu sais, dans un cabaret galant… »
Il sourit : -« Oui, je comprends :
Dans le cabinet particulier d’un grand café… »
-« C’est ça. Mais d’un grand café
Où tu sois connu, où tu aies déjà …diné.
Enfin tu sais…enfin…je voudrais… »
-« Dis-moi ce que tu voudrais ?
Nous n’en sommes plus aux petits secrets. »
-« Je voudrais …
Qu’on me prenne pour ta maitresse…
Les serveurs, ignorant que tu es marié,
Me regarderaient
Comme si j’étais ta maîtresse.
Et toi, tu me prendrais pour maîtresse
Dans le cabinet particulier
De ce restaurant-là
Où tu dois avoir des souvenirs, n’est-ce pas ?
Moi, je m’imaginerai
Que je suis ta maîtresse.
Oh ! Oui, comme je le souhaiterais !
Tu ne te figures pas comme ça me…troublerait
De diner comme ça avec toi
Dans un endroit…
Où l’on s’aime tous les soirs… »
Très amusé, Paul riait :
-« Bon, très bien. Nous irons ce soir
Dans un restaurant chic où l’on me connait. »
Vers sept heures,
Paul et Henriette
Montaient l’escalier
D’un grand café,
Lui, souriant, l’air vainqueur ;
Elle, timide, ravie, voilée.
Dès qu’ils furent entrés dans le cabinet,
Ils s’assirent sur un large canapé.
Le maître d’hôtel vint leur demander :
-« Que voulez-vous manger ? »
-« Un menu corsé, des plats bien épicés. »
-« Monsieur Paul veut-il du champagne, »
-« Oui. Très sec, le champagne. »
Ils commencèrent à diner.
Henriette buvait coup sur coup pour s’animer.
Elle se sentait émue par ce lieu suspect
Mais contente et agitée.
Deux serveurs graves, muets,
Allaient et venaient,
Habitués à tout voir et tout oublier,
À n’entrer qu’aux nécessaires instants
Et à sortir aux minutes d’épanchement,
À la fin du repas, Henriette était grise,
Tout à fait grise.
-« Maintenant, Paul, confesse-toi
As-tu eu des maitresses…avant moi ? »
Paul, en gaité,
Ne savait pas s’il devait cacher
Ses bonnes fortunes.
-« En as-tu eu beaucoup, dis-moi ? »
-« Mais… quelques-unes. »
-« Combien ? » -« Je ne sais pas, moi. »
-« Combien à peu près ?
Seulement à peu près. »
-« Je ne sais pas du tout.
Des années j’en ai eu beaucoup
Et d’autres, beaucoup moins. »
-« Combien par an, dis ? Trente, moins ? »
-« Tantôt vingt, tantôt cinq seulement. »
-« Oh ! Que c’est dégoûtant ! »
-« Voilà qui est drôle ! S’il est dégoûtant
D’en avoir cent,
Est-il, à ton avis, dégoûtant
D’en avoir une seule ? Réponds franchement. »
-« Oh ! Non ! »
-« Pourquoi non ? »
-« Une femme, c’est un amour qui vous attache
Tandis que cent femmes, …on les lâche ! »
-« Comment un homme peut-il
Se frotter à tant de sales filles ? »
-« Sales ? Mais non, elles sont très propres. »
-« On ne peut pas être propre
En faisant leur métier. »
-« Elles sont propres à cause de leur métier. »
-« Oh ! Et quand on songe que la veille
Elles faisaient ça avec un autre, c’est ignoble.
Ça m’effraye. »
-« Ce n’est pas plus ignoble
Que boire dans ce verre
Où a bu je ne sais qui, hier.
Et qui a été bien moins lavé que… »
-« Oh ! Tais-toi,
Tu me révoltes, peuh ! »
-« Mais alors pourquoi
Me demandes-tu si j’ai eu des maitresses ? »
-« Tes maitresses
C’étaient des catins, toutes… ? »
-« Non…pas toutes.
Il y avait des actrices,
Des ouvrières et des femmes du monde. »
-« Combien de femmes du monde ? »
-« Six. »
-« Elles étaient jolies ? »
-« Mais oui. »
-« Plus jolies
Que les filles ?
Préférais-tu les femmes du monde ou les filles ? »
-« Les filles, les catins » -« Pourquoi ? »
-« Parce que, moi,
Je n’aime guère les talents d’amateur. »
-« Tu es abominable. Quelle horreur !
Les femmes
Ne se ressemblent-elles donc pas ? »
-« Mais non, les femmes
Ne se ressemblent pas. »
-« En rien ? »
-« En rien. »
-« Qu’ont elles de différent ? »
-« Mais tout, vraiment. »
-« Le corps ? »
-« Oui, le corps.
Mais aussi la manière de parler… d’embrasser.»
-« Ah ! Tu trouves amusant de changer ? »
-« Oui. » -« Et les hommes sont-ils différents ? »
-« Ça, je ne sais pas. »
-« Tu ne sais pas ? »
-« Non. Je pense qu’ils doivent être différents. »
Henriette resta pensive, son verre à la main.
Il était plein.
Elle le but d’un trait,
Puis se jeta au cou de son mari :
-« Oh ! Comme je t’aime, mon chéri !...»
Et lui, la saisit d’une étreinte emportée.