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En rafale

Par Carmenrob

Depuis mon dernier billet, en septembre dernier, je n’ai pas chômé. Entre deux voyages et quelques cours, j’ai lu des bouquins dont je n’ai pas eu le temps de vous parler. (On dirait que je sens le besoin de me justifier de ma longue absence…) Je me reprends aujourd’hui par un bref survol de chacun de ces moments de bonheur.

Le chinois, d’Henning Mankell

chinois
Mankell, le maître du polar suédois, frappe un grand coup avec cette œuvre qui dépasse de beaucoup le plaisir d’un bon suspense. Comme à son habitude, l’auteur nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Passé le choc de la description de l’horrible carnage perpétré dans une petite bourgade perdue, dans le nord de la Suède, l’histoire s’approfondit et s’élargit. On fait un bond prodigieux dans la Chine féodale du 19e siècle pour y suivre trois frères traqués, affamés, fuyant leur village mortifère. Ils seront kidnappés et mis sur des bateaux comme du bétail. Cap sur l’Amérique où, en quasi-esclavages, ils travailleront, au risque quotidien de leur vie et sous la férule d’un Suédois exilé, à la construction du chemin de fer. Nouveau bond dans la Chine moderne. On fait la connaissance d’un riche Chinois, descendant des premiers, passionné par ses origines. À mesure que l’action se déroule dans une atmosphère de sourde menace, le lecteur est entraîné dans des aller-retour, entre ces deux parties du monde qui semblent avoir si peu de choses en commun, jusqu’au dénouement. Un grand plaisir de lecture qui nous laisse haletants et un peu plus instruit sur diverses facettes de la Chine.

Le feu de mon père, de Michael Delisle

feu père
Ici, on fait un tête-à-queue. Du roman de haute voltige, on passe au récit intimiste et plutôt sombre. « J’ai toujours eu du plus loin que je me souvienne la mort dans l’âme. » Le ton est donné. L’auteur revient, à l’âge de la maturité, sur sa relation avec son père, mafioso sans envergure, et avec sa mère, portée sur la bouteille et les narcotiques. Et lui, entre les deux, avec le mutisme comme bouclier. Et plus tard, la poésie, pour survivre. Pourtant ce récit, malgré l’univers sordide qu’il décrit, se lit avec le plaisir qu’on trouve à entrer dans l’intimité d’un être qui se livre sans faux-fuyant, avec une langue belle et simple. Et qui, réfléchissant sur la vie et l’écriture, nous élève un peu, nous aussi.

L’album multicolore, de Louise Dupré

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Dans la même veine, une autre poète nous entraîne dans la réflexion et la remémoration occasionnées par le décès de sa mère. D’une plume limpide, Louise Dupré accueille, dans le désordre, les souvenirs d’une enfance qui l’a forgée et qui survit au temps. La mère est morte, pourtant elle vit toujours, indétrônable. C’est à l’éloge d’un grand amour que l’auteure nous convie, d’un amour parfois tortueux, mais primordial.

Le théorème du homard, de Simsion Greame

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Un petit bijou, ce livre. L’auteur est australien et il s’agit, si je ne m’abuse, de sa première œuvre. Don, le narrateur, professeur d’université, scientifique de génie et d’une rationalité à toute épreuve, souffre du syndrome d’Asperger. Et de ce fait, il est démuni face aux normes implicites qui permettent aux gens de fonctionner en société. Le non-verbal, les codes vestimentaires, les conventions sociales liées à la politesse, c’est zéro. Il n’y comprend rien. N’empêche qu’il aimerait bien rencontrer une femme et se marier. D’où le questionnaire structuré et exhaustif qu’il élabore pour résoudre ce qu’il appelle le Problème Épouse. Ce qui donne un récit à la fois hilarant et touchant, savoureux comme un gros cupcake moelleux. Je l’ai dévoré sur le vol Toronto-Paris alors qu’il devait me sustenter durant tout le voyage.

La jeune fille à la perle, de Tracy Chevalier

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M’étant retrouvée sans provisions de lecture dès le début du voyage, mon amie Pascale, qui nous recevait à Ambleteuse, m’a prêté ce livre que j’ai lu (ou relu) avec un immense bonheur. Mon incertitude vient du fait que je crois bien avoir vu le film qui en a été tiré et que tout se confond dans ma tête. Mais peu importe.

Avec La jeune fille à la perle, on pénètre dans un univers tout à fait singulier. L’histoire se passe en Hollande, au début du 17e siècle. Le peintre Vermeer engage Griet, une jeune fille de seize ans, pour les soins du ménage et des enfants, et plus particulièrement, pour l’entretien de son atelier de peinture, exercice périlleux, dont Griet, dotée d’un véritable sens artistique, s’acquittera avec brio. De cette rencontre naîtra un grand amour sans retour, une furieuse jalousie, une envie revancharde, tout cela s’exprimant en demi-teintes, volutes, dentelle, pigments. La langue de Tracy Chevalier, splendide, crée une atmosphère dense, contraignante. Un chef-d’œuvre.

Dans le jardin de la bête, d’Erik Larson

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Retour au 20e siècle avec cet ouvrage passionnant, un document relatant la montée du nazisme à travers l’histoire de l’ambassadeur américain, William E. Dodd, et de sa famille, en poste à Berlin entre 1933 et 1937. Ce récit, qui a tout du thriller, est en fait un compte rendu, à peine romancé, de la montée en puissance de Hitler, de la mise au pas des Allemands, de l’instauration d’un système de terreur et de délation généralisé. Les protagonistes sont témoins (horrifiés ou consentants) de la persécution qui s’abat sur différents groupes sociaux : les Juifs, les homosexuels, les malades mentaux, les Tziganes et d’autres encore. Dodd et sa famille, qui assistent à la transformation de l’Allemagne, à son pourrissement, passeront graduellement du déni à la désolation et à la frayeur. On est spectateur de la résistance de l’Occident à entrevoir le gouffre vers lequel Hitler pousse l’Europe, le monde. La rumeur de l’Apocalypse imminente reste inaudible à la majorité. Et on se demande, sceptique, si on a appris de l’Histoire lorsqu’on prend acte de la remontée de l’extrême droite, en Europe et ailleurs dans le monde. Un ouvrage du plus grand intérêt, consciencieusement documenté (45 pages de notes de lecture et 13 pages de bibliographie).

Le maître des illusions, de Donna Tartt

maitre illusion
J’avais adoré Le Chardonneret. J’ai tout autant pris plaisir à son oeuvre précédente, Le maître des illusions. Donna Tartt crée ici une atmosphère inquiétante qui vous saisit dès la première page et qui ne vous lâche plus, même lorsque l’histoire semble s’apaiser. Ce qui, par certains, sera traité de longueurs me semble au contraire participer à maintenir la tension. Comme le chat qui joue avec la souris et qui lui laisse, par moments, l’impression de se désintéresser d’elle pour mieux la ramener sous sa dent.

Dès l’introduction, on sait qu’il y a eu un meurtre. Et qui en est la victime : un étudiant de l’énigmatique maître de grec ancien. Et qui en sont les auteurs : les cinq autres étudiants de la classe.

Par un concours de circonstances sur lesquelles Richard, le narrateur, semble avoir peu de pouvoir, comme sur sa vie en général d’ailleurs, celui-ci part de la Californie pour venir étudier à l’Université de Hampden, dans le Vermont, où il sera associé au meurtre prémédité d’un de ses confrères d’études. Ce drame prend sa source dans un autre événement tragique, la mort non préméditée d’un paysan des alentours, tué par les étudiants du maître de grec voulant recréer les Bacchanales, cérémonies orgiaques de l’Antiquité faites de débordements d’ivresse et de sexe. Menacés d’être dénoncés par un des leurs, les étudiants, sous l’impulsion de leur meneur, en organisent l’élimination. Toute l’histoire baigne dans une atmosphère d’étrangeté et de dissolution. On se demande d’ailleurs en quoi ces Bacchanales auraient pu être différentes de ce qui se passe dans le petit groupe, lequel nage déjà dans l’alcool, la drogue, le sexe, voire l’inceste.

J’admire (et j’envie) la capacité de l’auteure de créer des personnages d’une grande complexité, si vivants, si présents, qu’on cesse pour un temps d’exister en dehors de leur univers. Un excellent moment de lecture.


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