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Mommy, de Xavier Dolan

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 4,5/5 

Xavier Dolan est un réalisateur qu’on aime suivre. Depuis son premier film en 2009, l’acteur-réalisateur ne s’arrête pas de tourner et monte quatre par quatre les marches de l’escalier du succès. Certains étages ont été plus difficiles et ont obligé le grimpeur québécois à ralentir son rythme soutenu (5 films en 6 ans et déjà un sixième sur les rails), comme Les Amants imaginaires qui a un peu calmé l’engouement critique autour de J’ai tué ma mère. Après un court calme, il y eu l’explosion Laurence Anyways et le volcan inventif ne se tarie pas depuis. Mommy est le fruit de ce déchaînement de créativité. 

© Shayne Laverdiere

© Shayne Laverdiere

Puisqu’il est devenu un peu à son insu un représentant des causes gays au cinéma, réglons rapidement cette fausse question ; Mommy ne traite pas de personnages gays et Xavier Dolan n’y figure pas comme comédien. De la même manière qu’un réalisateur bobo-parisien écrit sur des personnages bobo-parisiens, Xavier Dolan a écrit sur des homosexuels ; on écrit avant tout sur les milieux que l’on connaît. Heureusement le mûrissement des idées amène à élargir les thèmes de réflexion et de création. Aujourd’hui, pour Mommy, Xavier Dolan a écrit sur deux femmes fortes et faibles à la fois, sur l’amour et la peur, sur la famille et la société.

Pour la première fois également, il a placé son récit dans un monde fictif. Bien que celui-ci nous semble tout à fait contemporain, c’est dans sa législation qu’il s’écarte de la réalité actuelle. Dans le Canada de Mommy, un parent semble avoir tous les pouvoirs sur son enfant, du moins celui de le placer dans des centres pénitenciers pour comportement violent sans autre jugement que le sien. 

Dans ce contexte vit Diane « Die » Deprés, veuve retrouvant la garde de son fils hyperactif et hyperviolent. 

Plutôt que de suivre l’évolution de Steve (le fils) en dehors des murs des centres d’éducation (Xavier Dolan a souvent eu tendance à se ranger du côté de la jeunesse dans ses films précédents, cf. sujet du mois « La représentation de l’adolescence au cinéma »), le réalisateur prend le parti de Diane qui tente à tout prix de sauver son fils des jugements de la société. Nous prenons part à son combat quotidien pour l’intégrer à son monde, pour en faire un fils « normal » qui réussira son diplôme, qui poursuivra sa passion dans une école réputée et rencontrera une jeune femme aimante ; un fils qui fera la fierté de sa mère et sur lequel elle pourra se reposer et contempler sereinement le chemin parcouru. Dans cette lutte, Diane est rejoint par une autre femme tentant de surmonter un autre traumatisme, Kyla. A elles deux, elles forment les deux piliers du film et de la vie de Steve. Deux rôles complexes et forts pour sublimer deux actrices chéries du réalisateur : Anne Dorval et Suzanne Clément qui l’accompagnent depuis son premier film.

© Shayne Laverdiere

© Shayne Laverdiere

Primé au festival de Cannes du prix du jury ex aequo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard, Mommy a d’abord fait parler de lui par son format on ne peut moins conventionnel. Un film expérimentant les profondeurs du numérique réalisé par un géant du cinéma et un film argentique au format carré présenté par un réalisateur de 25 ans récompensés à égalité dans le bunker cannois n’est pas un événement hasardeux. Xavier Dolan joue de l’outil « cinéma » et se l’approprie totalement. Plus que jamais dans l’ère du numérique, le réalisateur s’attache à la pellicule et joue des formats plus qu’on ne l’ose sur les supports virtuels. La majorité du film est donc présentée en format 1:1, à ne pas confondre avec le 4:3 qui donne lui aussi une impression carrée en restant cependant un format horizontal. Il s’explique de ce choix par le rendu idéal que propose ce format pour les portraits. Dans cette impression verticale, il n’y a nulle place pour le décor derrière les comédiens ; nos yeux ne peuvent que voir le portrait qu’il fait du personnage, ses expressions sont au premier et unique plan. 

L’impression d’étroitesse de l’image ressentie par nos yeux habitués au 16:9 ou au scope sert également le récit. Lorsque les événements semblent s’adoucir et offrir une certaine tranquillité au trio Diane, Kyla et Steve, le format 1:1 est délaissé au profil d’un format 16:9 lors d’une transition semblable à une énorme respiration. L’étau se desserre et laisse les personnages évoluer librement dans le décor.  

© Shayne Laverdiere

© Shayne Laverdiere

Quelle joie de visionner un film si abouti, étudiant avec une telle honnêteté les sentiments humains fondamentaux ! Quelle joie de s’abandonner dans le récit poignant de ces personnages forts en couleurs ! Quelle joie de savourer sans retenue la beauté des images et l’expressivité des musiques !

Peut-être pouvons-nous désormais cesser de nous surprendre du talent d’un si jeune réalisateur et nous réjouir de sa productivité flamboyante qui semble nous réserver encore tant de surprises !

Marianne Knecht

Film en salles depuis le 8 octobre 2014


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