d'après PETIT SOLDAT de Maupassant
Chaque dimanche vers onze heures, deux soldats,
De naïfs et doux Bretons,
Yves Kerdeven
Et Jean Leguiden,
Traversaient Asnières à grands pas.
Ils ne s’arrêtaient que chez le charcutier,
Le boulanger et l’épicier.
Un morceau de boudin,
Quatre sous de pain et un litre de vin
Allaient constituer leur déjeuner.
Dès qu’ils avaient dépassé
Les dernières maisons,
Ils suivaient
La route de Bezons.
D’un pont, ils regardaient les barques de pêcheurs.
Ce spectacle leur rappelait les caboteurs
Traversant
Le Golfe du Morbihan.
Puis ils pénétraient dans un petit bois
Et s’arrêtaient au pied d’un rocher
Qui leur rappelait le dolmen
De Locneuven.
Ils déjeunaient
Et attendaient
Le passage d’une jeune fermière
Qui allait traire
Sa vache,
La seule vache
Qui pâturait là.
Cette fille leur dit un jour :
-« Bonjour…
Vous v’nez donc toujours là ? »
-« Oui, nous v’nons s’ reposer. »
Elle posa son seau :
-« Qué qu’ vous faites là, c’ tantôt ?
C’est-il l’herbe qu’ vous r’gardez pousser ? »
Yves, égayé, sourit : -« P’tête ben. »
-« Elle pousse pas vite, hein ? »
-« Ah non, pour ça, c’est vrai ! »
Elle demeurait debout devant eux,
Contente du plaisir qu’elle leur faisait.
-« Vous voulez un peu d’ lait ? »
Puis elle les saluait et s’en allait :
-« Allons, adieu. »
Le dimanche suivant,
Yves lui proposa deux croissants
Elle en mangea un
Et accepta un verre de vin.
Mardi, Yves demandait une permission
Et ne rentrait à la caserne qu’à dix heures.
Jean chercha pour quelle raison
S’était si longtemps absenté son ami.
Vendredi,
Yves posait une permission de trois heures.
Dimanche à midi,
Quand les deux soldats quittèrent le quartier,
Jean trouva qu’Yves montrait un air hardi.
Arrivés à leur coin préféré,
Ils attendirent le moment de la traite du lait.
Quand la jeune fermière passa, Yves se leva,
Fit deux pas vers elle et l’embrassa.
Elle, le saisit fougueusement
Sans s’occuper de Jean
Qui venait de comprendre pourquoi
Par deux fois,
Yves avait obtenu un droit de sortie.
À la pensée de perdre son ami,
Jean fut terriblement peiné.
Il avait envie de pleurer.
Le soir, en rentrant, les deux bretons
S’arrêtèrent sur le pont
Pour voir passer les bateaux.
Jean, affolé, monta sur le parapet,
Sauta et disparut dans l’eau.