d'après UNE LETTRE de Maupassant
Dans notre métier,
On reçoit beaucoup de courrier.
Tantôt nous sommes
Le seul grand homme,
Tantôt nous sommes un être vil, infâme.
Il arrive que nous recevions
Le même jour de chaudes félicitations
Et de virulents blâmes.
La lettre que je vais transcrire ici,
Je l’ai reçue à mon nom, bien affranchie.
Elle était signée lisiblement.
Voici ce document :
« Cher monsieur,
Avant de vous solliciter,
J’ai beaucoup hésité.
Mais je vous sais bon et généreux.
Moi, je ne suis ni folle ni romantique.
Je suis sérieuse et j’ai du sens pratique.
Je viens d’avoir vingt-deux ans
Et je vous l’avoue franchement,
Je désire me marier.
J’ai pensé que vous pourriez me présenter
Un homme qui veuille se charger de moi.
Que cet homme soit
Vieux ou laid n’est pas important.
Mais je veux qu’il ait beaucoup d’argent.
En échange, je lui donnerai
Ma jeunesse et ma fidélité.
Comme vous connaissez
Beaucoup de monde, j’ai pensé
Que vous pourriez connaître
De riches célibataires.
Si parmi ces derniers,
Vous en trouvez un qui veuille m’épouser,
Écrivez-moi,
Poste restante, bureau Jourdan.
Avec tous mes remerciements,
Janine Sermois. »
Pourquoi m’a-t-elle écrit à mon adresse
Et non au journal ?
Je ne tiens pas une agence matrimoniale !
Je n’ai pas la réputation
De venir en aide aux vierges en détresse.
Et je ne connais guère de vieux garçons.
Cependant, séance tenante,
J’ai tenté de secourir cette correspondante
Assez singulière.
J’ai interrogé tous les célibataires
Que je côtoyais :
’’ Mon cher,
Ne voudriez-vous pas vous marier ?
Je connais une jeune fille
Qui ferait votre affaire.
Cela vous conviendrait-il ? ’’
À cette question inattendue,
Tous m’ont répondu :
’’ Est-elle belle, la dot ? ’’
Je me suis alors adressé
À des vieux, des difformes, des laids,
Et même à un homme au pied bot.
Tous m’ont demandé gravement :
’’A-t-elle beaucoup d’argent ? ’’