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un cocu désespéré

Publié le 24 octobre 2014 par Dubruel

d'après MONSIEUR PARENT de Maupassant

Âgé de quarante ans,

Ventru, chauve et pas très grand,

M. Parent était marié à Henriette

Depuis trois ans.

Sa jeune femme, belle et coquette,

Le traitait rudement.

Ils avaient un fils, André,

Âgé de deux ans.

Monsieur Parent

L’adorait.

Un jour, peu avant dix-neuf heures-trente,

M. Parent demanda à Julie, sa servante :

-« Madame ne va pas tarder.

Veuillez préparer le diner. »

Julie détestait sa maîtresse

Et surtout un ami du ménage,

Paul Sauvage.

Elle déclara avec hardiesse :

-« Si j’étais monsieur,

Je ne laisserai pas Madame vous mener

Par le bout du nez. »

-« Ah ! Ça oui, Julie.

Sans mon fils,

Je serais bien malheureux ! »

Parent jeta un coup d’œil dans la rue,

Puis alla s’asseoir sur le canapé.

Une porte s’ouvrit. André parut,

Souriant, joliment habillé.

Parent le saisit dans ses bras,

Le posa sur son genou

Et lui fit faire à dada,

L’embrassait sur les joues,

Les jambes, les pieds, les cheveux,

Les mains, le front et les yeux.

Malgré son cœur meurtri,

Il s’amusait encore plus que le petit.

La servante s’approcha de Parent

Et la voix tremblante d’exaspération, dit :

-« Monsieur, il est plus de sept heures et demie.

Ah ! Madame s’en soucie bien, de son enfant !

C’est une honte de le faire manger si tard.

Ça lui détruit l’estomac.

Si c’est pas pitié de voir

Une mère comme ça ! »

M. Parent racontait à son fils

Quelques histoires

Mais ne quittait pas la pendule du regard.

La préoccupation de son esprit

Lui faisait perdre le fil de son récit.

Il redoutait ce qui pouvait arriver,

Les explications qu’il n’osait imaginer,

Les propos malveillants de Julie :

La servante revint et dit :

-« Monsieur, je ne puis

Vous laisser ignorant

Plus longtemps

On rit trop de vous dans le quartier.

Si madame rentre à des heures de fantaisie,

C’est qu’elle fait des choses d’infamie…

D’ailleurs, avec M. Sauvage,…elle a fauté. »

-« Tais-toi ! »

-« Je les ai vu s’embrasser

Vingt fois.

Et Madame ne vous a épousé

Que par intérêt… »

-« Tais-toi…

Tais-toi ! »

-« Madame reproche à Monsieur

Ses habitudes, ses goûts,

Ses allures, sa rondeur, tout.

Madame a épousé Monsieur

Mais elle ne l’aime pas.

Et puis André n’est pas de vous. Voilà !

Il suffit d’ailleurs de regarder le petit

Pour connaître le père. Voilà c’est dit ! »

Parent l’avait saisi aux épaules et bégayait :

-« Vipère… ! Hors d’ici, vipère ! Va-t’en !

Je te renvoie. Va-t’en ! »

-« Monsieur n’a qu’à sortir après diner

Et rentrer un instant après…Il verra !

Il verra si j’ai menti !...Il verra ! »

-« Julie, quitte la maison immédiatement ! »

-« Bien, monsieur, je pars sur le champ. »

Alors, Parent rechercha dans sa mémoire

Des gestes suspects, des racontars,

Des absences simultanées,

Des regards inquiétants, des soupirs répétés…

Voyant qu’on ne s’occupait plus de lui,

Le petit André, assis sur le tapis,

Se mit à pleurer.

Pour le consoler,

Son père le couvrit de baisers.

Au moins, son enfant lui demeurait !

Il se rappela ce qu’avait dit Julie.

Il regarda André.

Ressemblait-il à Sauvage ? Il réfléchit :

’’ S’il me ressemblait, je serais sauvé ! ’’

Le timbre d’entrée sonna.

Parent fit un bond : ‘’La voilà !’’

Julie étant partie,

C’est lui qui ouvrit.

Sa femme et Sauvage se tenaient devant lui.

-« C’est toi qui ouvres ? Où est Julie ? »

-« Elle…elle…est…partie… »

-« Comment partie ? Où ça ? Pourquoi partie ? »

-« Je l’ai renvoyée. »

-« Mais tu es fou…Tu l’as renvoyée ? »

-« Oui, elle a été insolente. »

-« Envers qui a t’elle était insolente ? »

-« Envers toi. »

-« Envers moi ? »

-« Oui, sur toi, elle a dit

Des choses désobligeantes,…que c’était…,

Je ne fais que la répéter,

…Très malheureux pour un homme comme moi

D’avoir épousé une femme comme toi… »

-« Tu dis ?... » Très pâle, Parent répondit :

-« Je ne dis rien, ma chère amie.

Ce sont les propos de Julie. »

-« Tu as diné ? »

-« Non, je t’attendais. »

-« Écoute., j’ai rencontré Paul

En rentrant… boulevard Sébastopol

Nous avons pris l’apéritif au Grand Café… »

Elle s’interrompit, se tourna vers André

Et dit :

-« Au moins, tu l’as fait diner ? »

-« Non,…nous t’attendions, mon amie. »

Sauvage, jusque-là resté muet,

Demanda à Parent : -« Tu vas bien ? »

-« Oui, je vais bien. »

Henriette reprit :

« Et si j’étais rentrée à minuit,

Tu n’aurais pas fait diner André ? »

Sauvage s’interposa de nouveau à cet instant :

-« Henriette, comment

Votre mari pouvait-il deviner

Que vous seriez en retard pour dîner ? »

-« Il faudra qu’il prépare le repas

Car moi, je ne l’aiderai pas. »

Alors Sauvage aida Parent.

Il plaça l’enfant

Sur son siège à grands pieds,

Mit le couvert,

Tandis que Parent apportait le rôti brûlé

Et la purée de pomme de terre

Puis Sauvage s’assit à côté d’André

Pour le faire diner.

Parent regardait Sauvage. Ressemblait-il

À son fils ?

Comment pourrait-il vivre, manger,

Dormir la nuit

Avec cette pensée vrillée en lui :

’’ Sauvage, est-il le père d’André ? ’’

Comment savoir la vérité ?

Je devrais chercher toujours,

Souffrir toujours,

Embrasser l’enfant d’un autre, le promener,

L’adorer et penser à tout moment :

Peut-être n’est-il pas de moi ? ’’

Il eut un sursaut en entendant

Sa femme crier :

-« J’ai faim, moi ! » Parent se demandait :

’’Ont-ils pris l’apéritif ou s’étaient-ils donné

Un rendez-vous galant ? ’’

En tous cas, les deux mangeaient

De grand appétit maintenant !

Comme ils devaient se moquer de lui !

Est-il possible qu’on se joue ainsi

D’un brave homme, fortuné ?

Soudain, il se mit à imaginer :

’’ Je vais les surprendre dès ce soir ’’. Il leur dit :

-« Comme je viens de renvoyer Julie,

Il faut que je me procure une autre bonne.

Je vais chez nos amis Calonne,

Ils vont savoir me renseigner

Et peut-être même nous dépanner.

Je rentrerai sans doute un peu tard. »

-« Va, je ne bougerai pas d’ici.

Paul me tiendra compagnie. »

-« Bien… À tout à l’heure, je pars. »

Dès que la porte d’entrée fut refermée,

Voici quel dialogue s’ouvrit :

-« Tu es folle de harceler ton mari !

Il est ridicule de le braver. »

-« Il m’irrite par sa stupidité.

Il n’a que ce qu’il a mérité. »

-« Il ne nous gêne en rien

Et toi, tu fais tout pour le rendre enragé. »

-« Serais-tu lâche ? Tu as peur de ce crétin ? »

-« Te rend-il malheureuse ? Te bat-il ?

Te trompe-t-il ? »

-« Me reprocherais-tu de le tromper ? »

-« Je ne te reproche rien, ma chérie.

Mais ménage-le un peu ; c’est ton mari ! »

Ils s’étaient l’un de l’autre rapprochés.

-« Mon chéri,

Essaye de comprendre ceci :

Il ne m’a pas épousée, il m’a achetée.

Il me porte sur les nerfs.

Il m’exaspère.

J’ai envie de lui crier : Paul est mon amant,

Tu entends ? »

-« Apprends à dissimuler. »

-« Impossible. Je le hais. »

Alors Sauvage pencha la tête.

Leurs lèvres se rencontrèrent.

Ils s’enlacèrent

…Et n’entendirent pas Parent rentrer.

Brusquement, Henriette

S’aperçut que son mari les regardait.

Parent se jeta sur Sauvage, les poings fermés.

Il le culbuta,

Puis le saisit à pleins bras

Et voulut l’assommer :

-« Allez-vous en !

Tous les deux…allez-vous-en !

J’ai tout entendu et tout vu,…misérables !

Vous êtes des misérables !

Partez ! »

-« Paul, vous voyez bien qu’il est fou.

Puisqu’il nous chasse, venez !

Je m’installe chez vous. »

Puis se retournant vers son mari,

Elle lui dit :

-« J’emmène André

Parce qu’il n’est pas à toi.

Tout le monde le sait,

Excepté toi. »

Elle alla réveiller son enfant,

L’habilla et s’en alla avec lui et son amant.

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Parent vivait seul désormais.

Il fit à sa femme une pension, réglée

Chaque mois par son homme d’affaires.

Mais il ne cessait d’hésiter :

André était-il son fils ?

Comment le savoir ? Que faire ?

Sauvage s’occupait-t-il bien de lui ?

Le souvenir d’André hantait sa pensée.

Parent prit l’habitude de s’enivrer.

Peu à peu l’absinthe l’engourdissait.

Cinq années passèrent ainsi.

Puis un jour, rue Notre-Dame-des-Champs,

Il aperçut assez loin devant lui

Les deux amants

Tenant par la main un garçon

De huit ans environ.

C’était vraisemblablement André.

Parent s’enfuit, ulcéré,

À la façon d’un voleur,

Saisi par la peur

D’avoir été vu

Et reconnu.

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Les années se succédaient.

Parent allait à la mort sans s’agiter.

Il ne pensait guère plus à présent

Au drame où avait sombré sa vie

Car s’étaient écoulé vingt ans

Depuis cette affreuse nuit.

Se sentant mieux au début de l’été,

Il décida d’aller déjeuner

Au Pavillon Henri IV, à Saint-Germain.

Il parlait à son voisin

Quand il entendit

Parler près de lui

Une femme qui semblait fatiguée :

-« Paul, prenons cette table, mon chéri

Et André, assieds-toi près de moi, ici. »

L’homme avait les épaules un peu voutées.

Et le prénommé André était grand,

Mince, souriant, élégant.

Parent pensa : ‘’Je les tiens.

Je vais me venger. Je les tiens.’’

Il s’approcha : « C’est moi ! Me voilà !

Vous ne m’attendiez pas ? »

Les trois autres l’examinaient attentivement.

-« Regardez-moi ! Je suis Georges Parent !

Vous pensiez que c’était fini,

Bien fini

Et que vous ne me reverriez jamais,

Plus jamais.

Eh bien, non, me voilà !

Et nous allons nous expliquer. »

Henriette, effarée, murmura :

-« Oh ! Mon Dieu ! Ce n’est pas vrai ! »

Avec des yeux ahuris,

Sauvage dit :

-« Je t’ai reconnu… »

-« Voici le moment venu !

Vous deux, vous m’avez trompé !

Et je vais t’apprendre à toi, André,

Qui sont ces gens…

Moi, je suis ton père…

Regarde, ils me reconnaissent maintenant. »

À ces mots, André,

Le regard interrogateur, l’air sidéré,

Se tourna vers sa mère.

Parent reprit :

-« Dites-lui

Que je m’appelle Georges Parent.

Dites-lui que je suis son père

Puisqu’il s’appelle André Parent,

Puisque tu es ma femme et sa mère,

Puisque, vous trois, vous vivez de mon argent,

De la pension de dix mille francs

Que je vous fais

Depuis que je vous ai chassé

De chez moi.

Dites-lui pourquoi

Je vous ai chassé…

…Par ce que je vous ai surpris

…En train de vous embrasser ! »

-« Paul empêche-le de continuer ; qu’il se taise !

Qu’il ne dise pas cela devant mon fils,

Qu’il se taise ! »

Alors, Paul murmura d’une douce voix :

« C’est mieux en effet, Georges, tais-toi. »

Puis se tournant vers André,

Parent s’est exclamé :

-« Écoute, toi :

Quand ta mère est partie de chez moi,

Elle t’a emporté

Et m’a juré

Que je n’étais pas ton père,

Mais que ton père,

C’était lui,

Paul Sauvage. A-t-elle menti ?

Et vous Henriette, je vous somme

De me dire qui est

Le père de ce jeune homme.

Et toi, Paul, s’il te plait,

Dis-moi : Es-tu le père de ce garçon ?

Parle, allons !

Si tu ne veux pas me le dire à moi,

Dis-le à André. Il a le droit

De savoir qui est son père.

Réponds, misère !

Henriette, elle, je parie qu’elle ne le sait pas,

Parbleu !

Puisqu’elle couchait avec nous deux…

…Personne ne sait, ah ! ah ! ah !

Tiens, André demande-lui,

À Paul…Demande-lui

Et tu pourras choisir.

Oui, André, tu pourras choisir

…Lui ou moi…Choisis.

Bonsoir…J’ai fini ! »


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