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le café-tabac de Dreux

Publié le 25 octobre 2014 par Dubruel

d'après ÇA IRA de Maupassant

J’étais en déplacement à Dreux.

Que faire, mon Dieu

Le soir, dans cette ville inconnue ?

Je parcourais la Grand Rue

Et entrais dans un bureau de tabac :

-« Avez-vous des cigares Partagas ? »

La patronne, cheveux grisonnants,

Avait environ cinquante ans,

Curieusement, son visage m’évoqua

Quelque chose de familier.

L’aurais-je déjà rencontrée ?

Je ne m’en souvenais pas.

-« Excusez-moi de vous examiner ainsi

Mais il me semble que je vous connais. »

-« C’est drôle…moi aussi. »

Je poussai un cri : -« Ah ! Ça ira ! »

-« Oh ! oh ! si on vous entendait… »

Puis aussitôt, elle s’écria :

-« C’est toi, Mérieux ? »

Comment à Dreux

Avais-je pu reconnaitre ça ira,

La belle ça ira ?

Que de souvenirs s’éveillèrent en moi :

Bougival, Chatou, la maison Galopois,

La Grenouillère, dix ans de ma vie

Sur ce délicieux bout de rivière.

Nous étions à moitié nus, à moitié gris.

Notre bande possédait

Une vingtaine de canotières.

Parmi celles-là,

Il y avait

Ça ira.

Nous l’avions baptisée ça ira

Parce qu’elle se plaignait

Toujours de sa malchanceuse destinée.

Son véritable prénom était Sarah.

Les canotiers la croyaient israélite.

Certains l’appelaient

Zaïra, d’autres Zara.

Et voilà que je la retrouvais à Dreux.

Je lui ai demandé tout de suite :

-« Tu vis mieux ici, qu’autrefois à Chatou ? »

-« Un peu mieux. »

-« N’avais-tu pas un emploi à Paris ? »

-« Oui, j’étais chez Mme Graveloux,

La grande modiste, rue de Rivoli. »

Et elle se mit à me raconter

Sa vie ancienne,

Celle des autres employées

Mille secrets de la vie parisienne,

Toute son histoire

D’épervier de trottoir

Qui chassait par les rues, le matin,

En se rendant à son magasin,

Le midi, en flânant,

Le soir, en rentrant

Et les dimanches, à Chatou.

Enfin, elle me raconta tout !

Elle vida en un instant

La totalité de ses souvenirs

Amassés depuis si longtemps :

Vie galante, misères, rires…

-« Mais ce débit de tabac,

Comment as-tu fait pour l’acheter ? »

-« Oh ! C’est toute une affaire. Voilà :

J’avais connu un député.

C’est de lui que j’ai eu Roger. »

-« Qui ça ? » -« Mon fils, Roger.

Il me versa une pension pour l’élever.

J’ai économisé.

Et au bout de seize ans, j’ai pu acheter…

Bref,… Tiens, justement, voilà Roger. »

Un grand jeune homme entrait,

Brun, poseur, bien propret.

Il embrassa sa mère qui me dit :

-« Tu sais,

Il est chef de bureau à la mairie.

…C’est un futur sous-préfet. »

Avant de m’en aller, je saluai Roger

Et sur la main de Ça ira, déposai un baiser.


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