Parfois, certain d’entre nous pourrait céder, avec une rationalité impressionnante, au pessimisme le plus tenace. Parfois, on remettrait presque en doute la pertinence de fonder une famille. Après tout, le monde et l’espèce sont voués à la perte. Cela serait oublié ce qu’il y a de magique dans ce clair de lune somptueux qui nous éclaire tous ce soir. Avec Magic in the moonlight, Woody Allen, au sommet de son art, nous rappelle avec poésie que la vie vaut d’être vécu pour ses mystères.
Dans les années 20, Stanley (Colin Firth dont on a parlé pour Avant d’aller dormir)est l’un des plus grands magiciens au monde. Sous son nom de scène, Wei Ling Soo, il est aussi l’un des plus grand démystificateur de médium. Son ami d’enfance, également prestidigitateur, Howard Burkan (Simon McBurney), vient quérir son aide pour démasquer Sophie (Emma Stone, la fiancé de Peter Parker dans The Amazing Spider-Man) qui est en train de plumer une riche famille vivant sur la côte d’Azur et dont le fils, Brice (Hamish Linklater), est tombé éperdument amoureux.
Wei Ling Soo (Colin Firth)
Les fantaisies d’Allen sont toujours pensées comme des pièces de théâtres. Le générique où s’étalent les noms des acteurs, blanc sur fond noir, évoque le lever de rideau. C’est toujours un plaisir renouvelé de découvrir les dialogues ciselés sur papier d’or de Woody Allen. Au premier acte, nous assistons à une irrésistible comédie pince-sans-rire. Stanley, indécrottable cynique, convaincu que toute magie n’est qu’illusion, qu’il n’y a rien d’autre que ce que la rationalité la plus stricte et la plus scientifique peut nous apprendre passe le plus clair de son temps avec un panache exaltant à se montrer le plus désagréable possible avec le prétendu imposteur. Malgré qu’elle semble tout savoir et tout deviner, ses mimiques insupportables, typiques des charlatans de grands chemins rendent jubilatoire le flegmatisme tout britannique de Stanley, remarquablement interprété par Colin Firth.
Howard Burkan (Simon McBurney), Vanessa (Eileen Atkins ) et Stanley (Colin Firth)
Cependant, le grand Wei Ling Soo est peu à peu acculer. Il devient évident qu’il est impossible pour lui de distinguer où se trouve la supercherie. Le voilà convaincu qu’il a fait fausse route, que Sophie possède de vrais dons de divination. C’est un nouvel horizon qui s’ouvre à cet homme profondément triste car comme il le rappelle maintes fois, le bonheur est réservé aux incrédules et aux idiots. Revigoré par un mysticisme qu’il commence à épouser littéralement, Stanley retrouve un sens à la vie. Il est vrai que, d’un point de vue purement rationnel, et c’est là le paradoxe, la vie n’a pas d’autre sens que de se perpétuer dans un cycle de souffrances absurdes qui nous échappe totalement. Il est nécessaire de s’échapper de cette dur réalité. Pour certain, ce besoin prend la forme d’une dévotion exacerbée.
Sophie (Emma Stone) et Stanley (Colin Firth)
De ces deux comportements diamétralement opposés, Allen souhaite établir la synthèse. Comme on s’y attendait, un élan fulgurant de raison finit par saisir Stanley qui comprend où peut se cacher le canular. Sa première réaction est de s’indigner et de condamner l’acte. La sémillante Sophie lui rétorque qu’elle a offert un peu de bonheur et de magie à cette famille. Oserait-il tout dévoiler et gâcher ces moments de grâces ? C’est avec cette ferme intention que Stanley s’en va. Seulement, voilà, de cette expérience fugace de spiritualité, Stanley n’est pas revenu indemne. Au fond de son cœur se fait jour une nouvelle vérité. Il n’y a pas de Dieu, d’ailleurs s’il a existé, Nietzsche l’a tué, il n’y a pas de surnaturel, il n’y a pas de pensée transcendante. C’est un fait que le prestidigitateur ne remettra jamais en cause. Mais dans les yeux d’Emma, sur la bouche d’Emma, dans le flot de ses paroles, il a trouvé de la beauté. Envoûté, il découvre que la vie est pleine de surprise et de magie et que la plus puissante des potions enchantées s’appelle l’amour.
Stanley (Colin Firth) et Sophie (Emma Stone)
Même les personnes les plus raisonnables que l’on connaisse, même si elle trouve des explications rassurantes dans la science, même les personnes les plus croyantes que l’on connaisse, même si leur foi apaise leurs peurs ont un jour certainement ressenti la même chose que Stanley face à l’immensité de la voûte céleste : une espèce de malaise poignant face à l’immensité, ce même malaise qui nous étreint à l’idée de la mort. La religion et la science ne sont que des succédanées d’une réalité qui échappe tout simplement à nos sens. Admettre notre incapacité à comprendre l’univers et ses buts (pour peu qu’il y en est) est finalement l’attitude la plus saine à adopter. Finalement, le bonheur n’est pas une question de croyance ou de rationalité, pas plus qu’il n’est le privilège des idiots, il appartient à tous ceux qui savent rêver leur vie et cueillir dans chaque chose la beauté immanente du monde.
Boeringer Rémy
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