Comment gouvernerons-nous la terre ?
Et pour quelles fins l’« humanité »
dans son ensemble,
et non plus en tant que peuples ou que races,
devrait-elle être élevée et sélectionnée ?
Les morales autoritaires sont le principal
moyen de modeler l’homme au goût
d’un vouloir créateur et profond,
à condition que ce vouloir artiste,
de très haute qualité, ait en main
la puissance et puisse réaliser
durant de longues périodes
ses visées créatrices, sous forme de
législations, de religions, de coutumes.
On cherchera de vain de nos jours,
et sans doute de longtemps,
les hommes capables de ces créations grandioses,
les véritables grands hommes,
tel que je les entends ;
ils font défaut.
Puis viendra le temps où,
après bien des déceptions,
on commencera à comprendre pourquoi
ils font défaut et comment rien n’est plus
hostile à leur naissance et à leur croissance
que ce qu’on appelle en Europe
« la morale »,
comme s’il n’y en avait et n’en pouvait
avoir qu’une, cette morale grégaire caractérisée
plus haut, qui travaille de toutes ses forces
à réaliser le bonheur de plus grand nombre,
un bonheur de troupeaux au pâturage,
je veux dire la sécurité, l’absence de danger,
le bien-être, la facilité de la vie et,
« si tout va bien »,
l’espoir de pouvoir se dispenser finalement
de toute espèce de berger, ou de chef de file.
Les deux doctrines qu’elle prêche
avec prédilection sont « l’égalité des droits »
et « la pitié pour tous ceux qui souffrent ».
La douleur elle-même, on pense qu’il faut
tout simplement la supprimer.
Nietzsche – La Volonté de Puissance -