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Tunisie : Quand la gestion étatique du culte fait le lit de l’extrémisme

Publié le 29 octobre 2014 par Unmondelibre
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Le processus de transition démocratique en Tunisie est visiblement exposé à de nombreuses menaces, notamment l’extrémisme des islamistes. D’aucuns disent que la violence exercée au nom de la religion est encouragée par d’autres États anti-démocratiques, d’autres suspectent le parti Ennahda d’avoir permis la propagation de ce phénomène par incompétence ou par laxisme. Mais, qu’en est-il du rôle qu’a joué et que joue encore l’État tunisien ? L’administration monopolistique du religieux, n’alimente-t-elle pas l’extrémisme islamiste en Tunisie ?

Selon l’Article premier de la Constitution de 1959 (cet Article est conservé tel qu’il est dans la constitution de 2013), l’État se doit de jouer le rôle de gardien de la liberté du culte. Appelé à intervenir dans le domaine religieux en vue de protéger les libertés religieuses, l’État s’est permis, cependant, de se mêler  de manière abusive de presque tous les détails touchant à la religion dans le pays. En effet, dans une tentative de singer le modèle turc,, le régime Bourguiba a mis en place une sorte de sécularité qui a surpris la société tunisienne, laquelle n’a pas été préparée à cette marchee   accélérée et forcée.

Ainsi, au nom de la libéralisation de la femme, le port du voile était interdit en Tunisie, notamment dans les lieux publics. Or, la libertéd’un individu implique que tout un chacun choisit librement ce qu’il porte comme vêtement tant que cela ne nuit pas à la liberté des autres. Certes, la sécularité pendant l’ère bourguibienne visait la modernisation du pays (notamment l’émancipation de la femme), néanmoins son caractère forcé et élitiste a créé du rejet chez certaines couches de la société tunisienne. Sous Ben Ali, cette sécularité va encore être défigurée. L’enseignement des préceptes de l’islam a été vidé de son contenu. L’enfance tunisienne, dans l’ensemble, n’en savait que certains principes vagues.  En réalité, Ben Ali violait continûment les droits des femmes au libre choix vestimentaire en prétendant être fidèle à l’héritage moderniste bourguibien.

Par conséquent, il apparaît clairement que le régime Ben Ali a maintenu cette politique et l’a parfois poussée à son paroxysme. À partir de 1989, le régime Ben Ali va renoncer à l’ouverture politique promise. Ainsi, va-t-on assister, pendant le début des années 1990 à une campagne liberticide horriblement menée contre tous les virulents critiques du régime. Cette campagne se voulait, selon lui, un acte audacieux et patriote, mais au fond elle visait l’élimination du parti islamiste Ennahda. Nonobstant, cette marche en arrière annonçait le début d’une nouvelle ère dictatoriale, mais cette fois-ci, au nom d’une sécularité prétendue. Mohamed Charfi, le grand juriste qui a mis le droit tunisien au cœur de la modernité, avait démissionné de son poste de ministre de l’enseignement supérieur en 1993 pour prévenir les élites tunisiennes qu’écarter les islamistes de la vie politique aurait des répercussions désastreuses. Il appelait clairement dans une émission télévisée réalisée avec Al-Moustakilla les élites à ne plus soutenir une sécularité déguisée en dictature au nom de la modernité.

Ce renfermement qui caractérisait la vie politique tunisienne va non seulement mettre en péril toute ambition démocratique, mais aussi poussera les islamistes à davantage d’extrémisme et de radicalisme. Il est à signaler qu’écarter un mouvement politico-religieux de la vie politique va le faire passer pour une victime, voire un « martyr », et partant lui donner une certaine légitimité non seulement auprès des tunisiens mais aussi de la communauté internationale. Dès lors, ce que l’on a qualifié comme « sécularité forcée » ou « sécularité trompeuse » a finit par produire un retour de manivelle contre le régime en place.

Par ailleurs, il est quasiment inconcevable qu’un État veuille lutter contre l’extrémisme tout en perpétuant sa mainmise sur les mosquées. Le contrôle et l’orientation politisés  des prêches et la sélection bureaucratique des imams caractérisaient la politique religieuse de l’État tunisien. En effet, les imams qui auraient exprimé une certaine méfiance à l’égard du régime en place furent écartés. On nommait des imams proches du régime, quitte à ce qu’ils ne soient pas aptes pour une telle mission. Ces imams qui n’étaient que des pions manipulés par les détenteurs du pouvoir ne répondaient pas aux préoccupations de la population. Si étrange que cela puisse paraitre, et en dépit de tous les travaux sérieux et révolutionnaires dans le domaine théologique que les tunisiens héritaient de très grands penseurs tels que Kheireddine Pacha et Cheikh Salem Bouhajeb, ces mêmes tunisiens vivaient pendant à peu près trois décennies sans culture religieuse aucune.  

En outre, les libertés religieuses sont une condition sine qua non pour la cohésion et la pacification de toute société qui se dit démocratique. Si l’État se portait à la fois garant et gérant du religieux, il serait nécessairement impliqué dans un conflit d’intérêts : il ne peut être juge et partie en même temps. Dans un pays à majorité musulmane comme la Tunisie, le Coran, Texte fondateur de l’Islam, pourrait revêtir des interprétations et des lectures parfois paradoxales. Ceci dit, si l’État prônait une quelconque lecture, la chasse à la libre pensée serait inéluctable. Une telle répression ne peut que faire le terreau de l’extrémisme et du fanatisme.

Par ailleurs, l’État, représenté par le Ministère des Affaires Religieuses présente en soi un véritable problème, puisque tout le domaine du culte appartient à l’Etat et à lui seul. Il suffit d’observer de près les médiocres conditions de travail dans lesquels se trouvent les agents et cadres de ce Ministère pour bien comprendre les lacunes de ladite gestion étatique du culte, ce qui favorise l’infiltration de certains éléments islamistes extrémistes dans les mosquées tunisiennes.

Bref, l’ingérence de l’État dans la gestion du culte est l’un des principaux facteurs ayant permis la montée de l’extrémisme religieux en Tunisie. De ce fait, il semble urgent de réhabiliter la liberté de pensée, la liberté de conscience et le libre exercice du culte de façon à délimiter les compétences de l’État dans ce domaine.

Amir Mastouri est étudiant-chercheur tunisien en Droit et Science - Le 29 octobre 2014


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