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Bienvenu Sene Mongaba : Sanza nguma

Par Gangoueus @lareus

Bienvenu Sene Mongaba : Sanza nguma
Que vaut une fiction écrite en lingala ? C’est par cette question portant mes incertitudes que j’ai abordé ce recueil de textes courts produit par Bienvenu Séné Mongaba. Il faut dire que c’est la première fois que j’ai accès à un texte écrit dans une langue africaine que je comprends. Pour rappel, à défaut d’être la langue africaine la plus parlée sur le continent, le lingala est sûrement la plus écoutée des langues du continent. Parlé sur les deux rives du fleuve Congo et celles de ses différents affluents, le lingala est cette langue chantée par les plus grands artistes de ces deux pays. Elle a ainsi été portée, par-delà les frontières par le rayonnement continental de la musique congolaise.
Si le lingala est l’une des langues les plus dynamiques du continent africain, elle est très peu lue et très peu écrite. A la différence du swahili qui en Tanzanie est langue officielle. Pour vous donner une idée, faites une recherche sur la blogosphère tanzanienne très développée et principalement en swahili. Cela vaut aussi pour le web 2.0 en mérina à Madagascar. Quel immense étonnement pour moi de voir un pote malgache, du temps de mes années fac, correspondre avec sa belle restée au pays uniquement en mérina. Dans ces pays, des choix plus ou moins radicaux ont été faits pour créer un lectorat dans des langues autochtones et communes. On est toujours dans un échauffement de cet article, une intro qui a surtout pour intérêt de vous permettre de me situer en tant que lecteur lingalophone.
Sanza Nguma est une petite compilation de textes courts contant les mésaventures de Kakato, un commerçant ambulant de Kinshasa. D’ailleurs, peut-on parler de mésaventures ? Il y a du bon et du moins bon, des hauts, des bas et des sursauts. Bienvenu Sene Mongaba croque des portraits du petit peuple de Kingasani ou Masina, deux grands quartiers de la capitale de la RDC. Les anecdotes sont à la fois croustillantes, picaresques et dramatiques. Des scénarii qui font penser aux œuvres littéraires écrites en français sur la RDC comme celles de Marie-Louise Mumbu, Jean Bofane ou Serge Amisi. Kakato azali kolo bul. Traduction : Kakato est un maître à penser. « Bul », prononcé Boule, est défini bien un espace topologique abstrait dans lequel l’individu se meut en déployant toutes sortes de calcul pour s’en sortir. En écrivant cet article, je comprends encore mieux le titre de Jean Bofane, Mathématiques congolaises, qui traduit le concept de « moto na bul* » [Moto/Muntu/l'homme]. Cette réalité abstraite dans laquelle évolue Kakato ne l’épargne pas de certaines faillites ancrées dans un topo bien réel. Celle d’une maison littéralement vidée par une épouse fuyant la galère pour la recherche d’un « moto na bamwayen » (entendez par là, un homme qui a des ressources, des moyens – frangala). Celle de la trahison d’un frère de sang. Celle des croyances abêtissantes de collègues de travail. Sous la plume de Mongaba, on découvre des solidarités étonnantes, comme ces mutuelles organisées entre commerçants ambulants [shayeurs dans le texte]. Ou encore le drame d’une femme refusant d’enterrer son mari, mort d’avoir trop bu dans un n’ganda [bar ou maquis], mort d’avoir cessé de calculer pour sombrer dans l’illusion de « boks » de bière avalés en cascade et du semblant de liberté qu’ils lui ont offert.
Le plus important est sûrement que je vous parle de ce lingala dont s’empare Mongaba pour narrer la survie de Kakato. Si pour les raisons évoquées en introduction, la lecture m’a semblée pénible au départ, je me suis progressivement habitué à lire en lingala, même s’il y a une certaine difficulté avec les temps employés qui ne sont pas toujours concordants. Le deuxième agacement vient de la forte présence de mots dérivés du français. Des termes qui ont pourtant une existence en lingala comme lorsque Mongaba utilise l’expression déjà citée « Moto na bamwayen » au lieu de « Moto na mbongo » [quelqu'un qui a des sous] ou « moto na falanga » [idem]. J’ai toutefois relativisé ce point de vue quand j’ai réalisé que la langue de Mongaba se veut proche du parler de la rue kinoise, qu’on retrouve dans certains sketches télévisés. Le français poursuit lentement mais surement son œuvre impériale de possession de la langue du fleuve. Il me semble que rien mieux qu’une œuvre de fiction peut permettre de le constater, même si, vu du peu de production littéraire en lingala, le lecteur ne peut s’attendre à une langue plus « académique ». De ce point de vue, l’écriture de Mongaba a un style très différent de celle des grands musiciens de la rumba congolaise comme Lutumba Simaro, Débaba ou Tabu Ley. Peu importe, le choix littéraire de cet écrivain le rapproche de ses collègues congolais contant en français.
Bienvenu Sene Mongaba, Sanza ngumaEditions Mabiki, Première parution en 2014

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