Magazine Culture

[Note de lecture] Richard Rognet, "Dans les méandres des saisons", par Michaël Bishop.

Par Florence Trocmé

 

Rognet
Grand poème de la mort et du deuil, Dans les méandres des saisons est simultanément celui de l’énergie catalysante du poïein, d’un faire qui persiste, qui serpente et sinue dans le non-lieu/non-temps d’une mémoire à la fois fidèle et fatalement transformatrice, le poïein étant, tout compte fait, le/la geste d’un ici et maintenant, d’une stricte intériorité qu’extériorisent des formes qui pulsent et surgissent dans une improbable conformité au magma spontanément modelé de la psyché. L’absence – du père et de la mère, disparus – est simultanément le site d’une ‘douleur’ (106) et d’une ‘gloire’ (104). Perte et réinvention fusionnent, indistinctement catastrophe et apothéose. Le sonnet et ses quasi avatars librement conçus et amplifiés (17-18 vers) avec leurs structures métriques et strophiques à jamais mouvantes (5-4-4-3-2/4-5-3-4-2/5-4-4-4/5-5-4-3-1, par exemple), voici les signes d’une constance qui honore ce qui n’est plus que spectralement, nostalgiquement, et d’une souplesse qui, instinctivement, pousse plus loin dans une délicate et délicieuse danse de la continuité et de la rupture. Règnent une tendresse qui refuse l’ironie, une douceur qui n’accueille jamais la stridence. Écrire, c’est aller vers l’autre, creuser profond dans les ressources du moi pour, au cœur d’un effacement, réaliser un accès moins illusoire que symbolique, virtuellement vivable, à la face secrète de ce que l’on est, et, ainsi, la restitution précaire mais sentie d’une plénitude purement psychique, d’une beauté spirituelle que parviennent à filtrer quelques mots sur une page autrement blanche et vide.  
 
Richard Rognet, auteur d’une vingtaine de recueils (dont Petits poèmes en fraude, 1980 ; Recours à l’abandon, 1992 ; Seigneur vocabulaire, 1998 ; Belles, en moi, belle, 2002 ; Un peu d’ombre sera la réponse, 2009), nous offre, en effet, dans Dans les méandres des saisons, le texte lyrique d’une longue « conversation », sobre et énergique, avec ses pudeurs et ses regrets, la simple et émouvante parole viscéralement vécue d’une promenade « sentimentale et naïve » (dirait Jean-Claude Pinson) dans les sentiers inexistants du temporel et du fini – avec leurs fleurs et arbres, leurs abeilles et oiseaux qui, toujours, hantent et accompagnent ce dialogue (avec le bien-aimé, nécessairement, ajouterait Rûmi) devenu monologue intérieur, chant d’adieu et salut de loin et de très près, inséparablement. Si Richard Rognet cite en épigraphe le Francis Jammes du Deuil des primevères, c’est sans doute pour plonger à la fois dans l’atmosphère automnale des plantes qui commencent à se décomposer tout en préparant leur si lente et inimaginable réapparition. Fernando Pessoa figure aussi, emblématiquement, l’épigraphe venant, presque inévitablement, de son Livre de l’intranquillité ; mais la troisième épigraphe, qui ouvre le deuxième volet de ce recueil bipartite de Richard Rognet, me paraît la plus richement pertinente, étant le texte de l’amour et le signe le plus puissant de cela qui, au sein de tout poïein, transcende manque, absence et désir, excède quelque part tout signe de mélancolie, et, ce faisant, installe à leur place ce « minuscule monument de l’âme » qui est acte de présence et musique de l’ineffable mystère de ce qui a été-est-sera. 
 
[Michael Bishop] 
 
Richard Rognet. Dans les méandres des saisons. Gallimard, 2014. 
 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines