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Journal d'une accoucheuse

Par Absolut'lit @absolute_lit

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« je serais la main qui fait se balancer le berceau, le sein qui nourrit les enfants et le vagin qui rend tout possible. Je ne serais rien du tout. »
« j'ai deux filles. Si je leur donne un garçon, peut-être feront-ils comme si j'existais. »

Mrinalini, bouquet de lotus, à l'origine Malini, jardinier, rêve d'être actrice, puis, devant les ovaires d'une grenouille disséquée flottant dans l'eau telles des ailes, devient gynécologue. Les femmes de Chennai, anciennement Madras, ont besoin d'ailes.


Elle voudrait les aider à semer, germer, déraciner, le cas échéant, avec amour, conscience et liberté. Elle voudrait voir éclore, dans leurs yeux d'abord, une étincelle de joie, le droit de vivre un peu la vie à laquelle elles ont (dû) renoncé(er), qu'elles soient nées avec ou sans cuillère en argent. Elle voudrait leur offrir le choix, dans cette Chennai schizophrène et controversée, qui change de nom mais pas de visage, laisse entrer le monde « moderne » tout en s'accrochant désespérément à ses traditions religieuses. à ses superstitions plus que douteuses. Où l'on converse avec un dieu couvert de bijoux, où l'on enterre des filles nées en trop.

Au fil des consultations, Mrinalini, narrateur et personnage à la fois, Mrinalini - éprise d'un prince errant, qui fait battre son cœur comme une horloge au cœur de la nuit, croyant vivre un amour hors du commun qui se fait de plus en plus lointain - entre délicatement dans l'intimité physique, affective de ses patientes, et découvre ce qui se cache sous les saris, sous les bintis, derrière un visage parfait comme un sonnet shakespearien, ou pâle comme une actrice de films en noir et blanc, sous une burqa d'à peine 21 ans, dans le cœur d'une poupée russe.

L'une oublie le plaisir, l'acte d'amour, ne voit plus que par l'acte de conception, consigne sa vie dans un agenda menstruel, la tête en bas les pieds en l'air, implore chaque mois un millier de spermatozoïdes d'aller féconder la petite ovule rentrée dans sa coquille.
Une autre, fleur adolescente violée par le capitaine de l'équipe de cricket, veut se débarrasser de ce « trophée », refuse de mettre son avenir dans une vitrine.
Il y a l'ange joli abandonné au pied de l'Himalaya par un père français pas franchement près à l'élever au sommet. Un ange qui se grave une étoile sur l'estomac avec une lame de rasoir lors d'une performance, perd des plumes et craint de ne plus pouvoir voler.
Une mère de trois garçons qui voudrait une fille pour être la mère qu'elle n'a jamais eue, qui fait des malheurs de l'humanité un petit tas et laisse l'espoir accroché à la tringle, qui avait des rêves, avant d'avoir ses règles.
Et puis il y a cette femme, ce reste de femme, rivée à sa gazinière comme le papillon à sa lumière, ombre squelettique survolée par un énorme oiseau préhistorique, dragon de mer feuillu près à être réduit en miettes par « l'araignée de belle-mère » si elle ne donne pas un garçon au terme de sa troisième grossesse.

Plongée dans une Inde haute en couleurs, épicée, et pas si contemporaine qu'elle le voudrait, dans le corps et le cœur des femmes de Chennai, de femmes enchaînées à leur condition, à des restes de conviction, de femmes attachées à ( par) leur liberté.

Note : délicate comme un tapis de fleurs épineuses, éblouissante comme un ciel rouge sang


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