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71 : Le soldat Gary doit se sauver

Par Bullesdeculture @bullesdeculture

soldat Gary doit sauverRéalisateur de clip, de publicité et de séries, Yann Demange (Dead Set, Criminal Justice, ... ), londonien d’origine franco-algérienne, signe avec '71, son premier long-métrage. Commande des producteurs écossais Angus Lamont & Robin Gutch et de l’auteur Gregory Burke, le film nous plonge en 1971 dans les ruelles d'un Belfast en plein « troubles » du conflit irlandais, véritable guerre civile entre les quartiers catholique (proche de l’IRA) et protestants (pro-anglais). Ce film anglais sélectionné à la Berlinale, Prix du Jury au Festival International du Film Policier de Beaune et Prix du Public au Festival du Film Britannique de Dinard, nous révèle-t-il un nouveau talent de mise en scène ?
Synopsis : Belfast, 1971. Tandis que le conflit dégénère en guerre civile, Gary (Jack O'Connell), jeune et innocente recrue anglaise, est envoyé sur le front. La ville est dans une situation confuse, divisée entre protestants et catholiques. Lors d’une patrouille dans un quartier en résistance, son unité est prise en embuscade. Gary se retrouve seul, pris au piège en territoire ennemi. Il va devoir se battre jusqu'au bout pour essayer de revenir sain et sauf à sa base.

soldat Gary doit sauver

© Ad Vitam

Dans la peau de Gary 
Pas le temps de s’ennuyer dans ce film traité quasiment en temps réel. Dès les premières minutes, nous sommes plongés dans l’action, avec une scène d’émeute filmée remarquablement. Très vite, la tension monte. Yann Demange nous projette dans la peau de Gary (Jack O’Connell connu pour son rôle de James Cook dans Skins), soldat égaré dans ce quartier ouest de Belfast, hostile et labyrinthique. Avide de sensations, le réalisateur nous fait vivre les événements en quasi subjectif, avec l’impact émotionnel proche d’un jeu vidéo. Le temps d’une nuit, ce film d’action prend aussi les allures d'un thriller à suspense, injecté d'adrénaline. Le plus souvent en mode caméra à l’épaule, on est toujours au plus proche de Gary, troufion qui vit un véritable enfer dans ce guêpier, qu’il découvre en même temps que nous.
Les courses poursuites sont intenses, haletantes, secouent le spectateur, de sorte que certains médisants diront qu’au premier rang, il vaut mieux être munis de son sac à vomi. Mais la plupart salueront surtout une mise en scène au cœur de l’action, parfaitement maitrisée. Jusqu’à la fin, la tension ne redescend jamais. Esthétiquement, Yann Demange orchestre images et musiques avec brio, et filme les émeutes comme si on y était.

soldat Gary doit sauver

© Ad Vitam

Chasse à L’homme 
Nous courons avec notre homme, souffrons, sursautons et nous nous perdons avec lui dans les ruelles, poursuivi par ces radicaux qui veulent notre peau. Pendant tout le film, Gary subit, retient son souffle, reste dans son mutisme. C’est un personnage passif, l’anti-guerrier par excellence, mais qui doit malgré tout agir pour pouvoir survivre. Le seul moment où ce garçon se permettra de hausser le ton est bien loin du conflit : Gary vide son sac sur plus faible que lui, et nous montre, en une phrase, que cette guerre, qui n’est pas la sienne, l’a transformé.
Le charme de l'ancien
Il faut saluer l’image remarquable du directeur de la photographie Tat Radcliffe, qui choisit avec Yann Demange de tourner la nuit en numérique (Arri Alexa) et le jour en pellicule (16mm) pour une esthétique au plus proche du grain film de l’époque. Ce rendu analogique participe à cette immersion en 1971, avec cette image brune et douce qui vient désaturer ces décors de briques pour le plaisir de nos pupilles. On appréciera également la lumière des scènes de nuit où Gary se perd dans des ruelles embrumées par les incendies, passages graphiques qui nous plongent dans l’ivresse apocalyptique des lieux, rappelant la très belle scène finale de Skyfall (2012) avec ces silhouettes qui errent dans l'univers abstrait de fumerolles orangées.

soldat Gary doit sauver

© Ad Vitam

Seul petit grain de sable, peut-être un twist de trop, qui plaira surement à certains, mais dessine une symétrie trop prononcée à ces retournements, ce qui nous plonge au dernier moment dans un tout autre genre, s’inspirant de codes plutôt dédiés au film d’espionnage/polar. Une petite coquetterie qui perturbe, complexifiant dans les derniers instants un scenario jusqu’à présent si épuré. Ce changement de registre inattendu enlève un certain minimalisme que l’on avait appris à apprécier de par la maitrise de son ensemble, puisque tout le reste du scénario est écrit pour nous plonger sous tension dans un véritable thriller.
Mais quelque part, c’est cette ultime pirouette qui permet à Demange et Burke de nous amener vers une réflexion plus poussée, montrant qu'un conflit à l’échelle si locale ne peut être qu’un véritable nœud de vipères, où chaque acteur est finalement un peu perdu comme Gary, ne sachant plus vraiment avec qui il se bat. Ce point de rupture permet de dévoiler ce conflit qui fait écho à tant d’autre actuels dans sa complexité. Sans prendre parti pour l’un ou l'autre des deux camps, Demange souhaite illustrer subtilement ce conflit sous ces différents « shades of grey », pour reprendre son expression. Mais ces questionnements sont développés si tard, que l’on aurait peut-être préféré du coup éviter la cerise sur le gâteau et rester dans la promesse de départ, dans un film de pure mise en scène, là ou Demange excelle.
Quoiqu’il en soit, ‘71 est une belle découverte, à ne pas manquer pour les aficionados du genre. Ce film est réussi et d’un genre plutôt rare pour un film du Vieux Continent. Son efficacité nous révèle un jeune metteur en scène très prometteur. En espérant que le succès de ce film anglais puisse, de par l’origine franco-algérienne de son réalisateur, venir botter la fourmilière et quelque peu inciter le marché du film français à enfin renouer avec le film de genre.
Sprea



En savoir plus :
- http://www.advitamdistribution.com/71/ (site officiel du distributeur)


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