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Sols pollués : le Conseil d'État précise les conditions d’engagement de la responsabilité du détenteur de déchets

Publié le 04 novembre 2014 par Arnaudgossement

balance.pngPar arrêt rendu ce 24 octobre 2014, le Conseil d'Etat rappelle les conditions aux termes desquelles le propriétaire d'un terrain peut être qualifié de détenteur des déchets situés à sa surface (cf. CE, 24 octobre 2014, n°361231).


A titre liminaire, il convient de rappeler que, par un arrêt « Wattelez II » rendu le 26 juillet 2011, le Conseil d’Etat a pu juger :

« Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain ».

Ainsi, le propriétaire négligent d’un terrain souillé par la présence de déchets, peut être regardé comme leur détenteur et, à ce titre, être destinataire de mesures de police dont le but est d’assurer leur évacuation. Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation par arrêt du 11 juillet 2012.

L'arrêt rendu ce 24 octobre 2014, par le Conseil d'Etat, confirme cette solution et précise que les conditions aux termes desquelles le propriétaire d'un terrain peut être qualifié de détenteur des déchets situés à sa surface, sont bien cumulatives.

I. Les faits 

La société U. est propriétaire d’un site à la surface duquel a été exploitée une installation classée pour la protection de l’environnement, jusqu’en 1991. La société U était liée à l'exploitant par un contrat de crédit-bail. En 1994, le préfet a mis en demeure cette société U. de réaliser des opérations de remise en état de ce site.

La société U. a alors saisi « le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant notamment à la condamnation de l'Etat en réparation des préjudices nés, selon elle, des fautes que le préfet de Seine-et-Marne aurait commises, d'une part, en n'obtenant pas de la part du mandataire liquidateur, en sa qualité de dernier exploitant, qu'il s'acquitte de ses obligations de remise en état du site et, d'autre part, en lui prescrivant d'effectuer une remise en état qui ne peut légalement incomber, selon elle, qu'à l'ancien exploitant ».

II. La procédure

Par un jugement du 16 décembre 2010, le Tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande. Par un arrêt du 11 mai 2012, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de cette société.

La Cour administrative d’appel de Paris a en effet écarté la responsabilité de l'Etat au titre de l'illégalité fautive des arrêtés de police pris au motif que la société U. pouvait être regardée, en sa qualité de propriétaire, comme détenteur des déchets polluant le sous-sol et les eaux souterraines du site, au sens des dispositions de la loi du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, aujourd'hui codifiée aux articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement.

Dés lors, c’est la faute de la société U. et non celle de l’Etat qui peut être regardée comme étant à l'origine des préjudices allégués par cette société à l'appui de sa demande indemnitaire.

Le 20 juillet 2012, la société U. a introduit un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. La haute juridiction va annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris. 

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle à quelles conditions le propriétaire d’un terrain peut être qualifié de détenteur de déchets :


«  5. Considérant, toutefois, que sont responsables des déchets, au sens des dispositions de la loi du 15 juillet 1975, les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets ; qu'en leur absence, le propriétaire du terrain sur lequel ils ont été déposés peut être regardé comme leur détenteur, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, et être de ce fait assujetti à l'obligation de les éliminer, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d'une part, l'existence de ces déchets, d'autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations ».

Ainsi, le propriétaire du terrain peut être qualifié de detenteur de déchets situés à sa surface aux conditions suivantes :

- Si les producteurs ou autres détenteurs de ces déchets ne sont pas connus ;

- Si le propriétaire du terrain a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain

- Ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d'une part, l'existence de ces déchets, d'autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations

Ainsi, un propriétaire de terrain ne peut, en cette seule qualité, être qualifié de détenteur des déchets.

Or, la Cour administrative d’appel de Paris s’était bornée à constater que la société U. était propriétaire du terrain à la surface duquel sont situés les déchets litigieux.

L’arrêt rendu ce 24 octobre 2014 par le Conseil d’Etat précise :

« 6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en se fondant, pour juger que la société U. était responsable de l'élimination de ces déchets, sur la seule circonstance qu'elle était propriétaire des terrains pollués par des solvants chlorés provenant de l'exploitation de l'Imprimerie François, alors qu'il lui appartenait de se prononcer au regard des principes rappelés au point 5, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices résultant des illégalités fautives qui entacheraient les arrêtés préfectoraux des 19 octobre 1994, 17 janvier 1996 et 5 octobre 1998 ».

L’arrêt objet du pourvoi en cassation est donc annulé.

Cet arrêt du Conseil d’Etat est donc intéressant en ce qu’il confirme le caractère cumulatif des conditions à réunir pour que le propriétaire d’un terrain puisse être qualifié de détenteur des déchets situés à sa surface. La seule réalisation de l’une de ces conditions ne saurait suffire.

Pour aller plus loin :

Note sur l'arrêt "société Wattelez" rendu le 26 juillet 2011 par le Conseil d'Etat

Note sur l'arrêt rendu le 11 juillet 2012 par la Cour de cassation

Note sur l'arrêt "société Wattelez" rendu par la Cour administrative d'appel de Bordeaux

Note sur l'arrêt rendu le 1er mars 2013 par le Conseil d'Etat

Note sur l'arrêt "société Wattelez" rendu le 25 septembre 2013, par le Conseil d'Etat

Arnaud Gossement

Selarl Gossement Avocats


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