Je ne vais pas me fâcher avec les jurés du Prix Renaudot, ils ont fait ce qu'ils ont voulu et, si David Foenkinos, lauréat cette année avec Charlotte, est ainsi consolé de n'avoir pas reçu le Goncourt, c'est très bien. Il a quand même fallu six tours pour dégager une majorité en sa faveur avec cinq voix contre trois aux Inoubliables, de Jean-Marc Parisis (qui n'avait été retenu dans aucune sélection préliminaire) et une à Kamel Daoud.
Tout le monde le dit : Charlotte serait le meilleur livre de David Foenkinos. Avec audace,
osons l’affirmation non conditionnelle : Charlotte est le meilleur livre de David Foenkinos. De là à hurler
au chef-d’œuvre, il reste du chemin. Du moins l’auteur de La délicatesse a-t-il mis de côté l’élégante facilité qui faisait
son succès pour oser, sur un sujet grave, une forme inhabituelle. Cela
ressemble à des vers libres – la poésie en moins, cependant. Double rupture,
donc, avec ce qu’on croyait être sa manière. Il ne faut jamais ranger les
écrivains dans des cases définitives, ils sont capables de nous étonner, ou au
moins d’essayer.
La forme, explique-t-il dans l’ouvrage, s’est en quelque
sorte imposée à lui par l’impossibilité de faire autrement : « Je n’arrivais pas à écrire deux
phrases de suite. / Je me sentais à l’arrêt à chaque point. / Impossible
d’avancer. / C’était une sensation physique, une oppression. / J’éprouvais la
nécessité d’aller à la ligne pour respirer. »
La vie de son personnage, telle qu’elle s’est déroulée,
telle qu’il la reconstitue, est en effet assez sombre pour briser les grandes
envolées. Charlotte Salomon, jeune plasticienne qui aurait pu éclore à Berlin
si elle n’avait pas été juive et si les nazis n’avaient pas été au pouvoir,
traduira dans son œuvre, réalisée en grande partie dans le sud de la France
après sa fuite, les déchirures intimes dont elle a souffert autant qu’elles
l’ont construite. Puis mourra à Auschwitz, à 26 ans, enceinte.
David Foenkinos revendique une source
principale : Vie ? ou
Théâtre ?, une suite qui intègre à la peinture textes et musique. Mais
comment traduire en mots, même en allant très souvent à la ligne, les vagues puissantes
surgies du passé et la manière dont elles éclaboussent les tableaux ? Il
reste l’émotion, moyen de transmission imparfait. Mais c’était le seul dont
disposait David Foenkinos. Certes, ce n’est pas rien et l’expérience romanesque
conduite avec Charlotte a le mérite
de l’honnêteté, jusque dans l’aveu de ses limites. On aurait aimé quelque chose
de plus.
Le Renaudot essai va à un curieux mais fascinant ouvrage de Christian Authier, De chez nous, où il se définit comme un irrégulier dans la société telle que nous la connaissons. et où, surtout, il cherche à en regrouper d'autres pour former une sorte de famille assez hétéroclite mais où les liens sont cependant profonds entre les différents membres. Convoqués "chez nous", des vignerons à l'ancienne, le général De Gaulle, des amis... Des affinités qui finissent par constituer une sorte d'évidence.
Enfin, Le garçon incassable, de Florence Seyvos, reçoit le Renaudot poche.
Certains
enfants tombent et ne s’en remettent jamais. D’autres rebondissent sans mal et
deviennent célèbres. Dans la première catégorie, Henri, que la narratrice a
toujours considéré comme un frère presque normal. Dans la seconde, Buster
Keaton, sur qui elle enquête pour écrire un livre. Les deux destins, aussi
dissemblables que possible, se rejoignent dans son esprit. Elle relie les fils
de leurs vies, à distance mais avec un sens aigu de l’émotion dégagée par ce
qui leur survient.