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c'est la fête

Publié le 07 novembre 2014 par Dubruel

d'après JOUR DE FÊTE de Maupassant

J’étais parti pour fuir la fête,

La fête,

Odieuse,

Et tapageuse,

La fête à étendards

Qui crèvent les yeux, la fête à pétards

Qui déchirent les oreilles.

Être seul, tout à fait seul,

N’entendre personne répéter

Des stupidités,

Ne voir aucune tête connue

Dont on pressent les pensées,

Dont on attend les réflexions rebattues

Et les mots d’esprit si peu amusants,

Est pour l’âme un véritable bain frais

Particulièrement reposant.

Qu’importe où j’allais !

Je suivais à pied

Le bord d’une rivière.

L’eau y coulait

Vive et claire.

De loin en loin, un bâton mince et long

Indiquait qu’un pêcheur se blottissait

Derrière un buisson.

Qui sont ces hommes

Dont le seul désir, en somme,

Consiste à garder

L’œil fixé sur un bouchon

Pendant des jours entiers,

Accroupis au pied

D’un saule ou d’un peuplier,

Avec l’espoir que morde un petit poisson ?

Là, ils oublient tout,

Épouse, sœurs, frères,

Enfants, soucis, affaires

En regardant dans le remous

Ce petit flotteur qui remue.

Est-il possible que des bourgeois parvenus,

Des artistes d’intelligence

Passent leurs dimanches à désirer

De toutes leurs espérances,

Cueillir dans l’eau, avec une pointe d’acier,

Un minuscule poisson

…Que jamais ils ne prendront ?

En m’approchant, la ville grandissait.

Je distinguai bientôt

Des drapeaux.

La fête, j’allais la retrouver.

Tant pis !

Au moins, je ne connaissais personne ici !

Je couchai à l’hôtel du Lion d’Or.

Des coups de canon m’ont réveillé dès l’aurore.

Sous prétexte de célébrer la liberté,

On vous force à vous lever !

Je sortis. La ville était en gaité.

Les bourgeois allaient et venaient.

Heureux, ils regardaient les drapeaux !

On s’était levé pour la fête, bravo !

Le peuple

Était en fête.

On lui avait dit qu’il serait en fête

…Il était en fête, le peuple !

Il était content, il était satisfait.

Jusqu’au soir, il demeurerait ainsi,

En allégresse, par ordre de l’autorité.

Et demain ce sera fini.

Ô l’humaine bêtise !

La ridicule bêtise !

La bêtise aux faces indéfinissables,

Aux métamorphoses innombrables.

On se réjouit avec des drapeaux,

Pourquoi

Cette joie ?...

Pour célébrer un emprunt nouveau ?

Pour fêter notre incertaine liberté ?

Les orphéons mugissaient,

Les artifices crépitaient,

La foule s’agitait, vociférait.

Et tous les rires avaient l’expression

De la même stupide satisfaction.

Tout ceci m’était intolérable,

Insupportable.


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