Un film de Robert Guédiguian (2011 - France) avec Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Marilyne Canto, Grégoire Leprince-Ringuet, Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet, Robinson Stévenin
Ah, notre cher Ken Loach français !
L'histoire : Michel, la cinquantaine, syndicaliste, vient de se faire renvoyer, comme une vingtaine d'autres ouvriers, tirés au sort, par son entreprise en difficulté. Il fête néanmoins comme prévu ses trente ans de mariage avec Marie-Claire et le couple est entouré de leurs enfants, petits-enfants, amis de toujours, mais aussi de tous les camarades licenciés. Tout le monde s'est cotisé pour leur offrir un voyage en Tanzanie, avec un petit pécule en liquide pour leurs dépenses sur place. Mais Michel et Marie-Claire sont bientôt agressés chez eux par deux jeunes individus qui réclament la cagnotte, les cartes bancaires et leurs codes... Forcément quelqu'un qui les connaissait, qui était à la fête chez eux. Le coupable est démasqué. Michel est outré. Marie-Claire essaie de comprendre...
Mon avis : Ce film fait écho à celui d'hier. Les nantis vs les misérables (dans le sens hugolien du terme). Ce genre de film ne peut que me toucher, moi la vieille gauchiste déprimée par la décadence ambiante, moi qui crois toujours que l'homme pourrait faire des miracles s'il laissait de côté ses instincts de possession et optait pour le partage... Une belle utopie, je sais, et beaucoup critiqueront sans doute l'angélisme du film. Pourtant... si cela pouvait faire réfléchir un peu, donner des idées à d'autres ! Hélas, il est probable que les égoïstes et les individualistes forcenés ne sont pas les clients de Guédiguian...
A certains de mes amis, qui se refusent à donner une pièce aux mendiants de toutes sortes... car ce sont évidemment "tous des feignants et des assistés", je réponds toujours que :
1. C'est faux. Les personnes ne se mettent pas sur le bitume par plaisir et même s'ils sont plus riches qu'ils ne le laissent croire... ils n'ont certainement pas de quoi parader dans le XVIe. A-t-on jamais vu un millionnaire tendre la main sur un trottoir glacé et puant pour faire grossir sa fortune ?
2. Je préfère prendre le risque de donner un euro à un feignant (tout le monde n'est pas né avec le même potentiel de courage, d'énergie, de santé, d'instruction, d'intelligence, d'accès à l'éducation) que de passer à côté d'une personne en galère sans m'arrêter. C'est quoi un euro, pour un nanti ?
C'est exactement le propos du film. Tenter de nous faire comprendre que NOUS sommes des nantis, nous autres petits Français moyens. Nous avons beau râler contre la baisse du pouvoir d'achat, la menace du chômage, etc.... la plupart d'entre nous vivons avec le confort élémentaire. Un logement, de quoi se vêtir, de quoi manger. Un licenciement en fin de carrière ? On touchera le chômage et quelques indemnités pour pousser jusqu'à la retraite. Pas le grand luxe, certes, mais une vie décente. Pas de voyages, pas de dernière tablette à la mode, pas de smartphone 4G, mais de quoi manger, recevoir ses amis, faire une petite balade en forêt.
Nous faisons partie des heureux de ce monde. "...des bourgeois..." comme dit un des personnages.
Le film oppose avec une grande sensibilité ce monde de grincheux que nous sommes à celui de ceux qui cumulent les difficultés dans l'indifférence générale. Guédiguian insiste sur ce couple modeste ; il ne s'intéresse pas aux riches, qui pourraient faire quelque chose, aux gouvernants, dont c'est le rôle, comme le clament les Français. Non, il reste sur ces petites gens pour bien faire comprendre qu'au lieu d'envier les riches, on ferait mieux de se contenter de ce qu'on a et de partager ce qu'on peut. Avant de changer le monde avec de grandes idées, commençons donc par regarder autour de nous ceux que l'on pourrait aider.
Guédiguian insiste aussi sur les perspectives qui s'offrent aux jeunes d'aujourd'hui : un horizon plus sombre que jamais, le chômage qui explose, le tsunami de la mondialisation dont les flots vont mettre longtemps à se stabiliser, avec à la clé une redistribution des richesses, la perte des valeurs humaines, l'individualisme... Ma génération, celle des personnages du film, mieux lotie, au lieu de s'agripper à ses maigres acquis, devrait ouvrir ses portes...
Quand on va à l'étranger, dans des contrées pauvres... il est frappant de constater que des gens bien plus pauvres que vous (vous, vous êtes un touriste, vous vous êtes payé le voyage, donc inutile de se voiler la face avec des "je l'ai eu en solde sur Internet", vous êtes un nanti point barre) vous invitent chez eux à boire le thé ou partager un repas, comme si c'était la plus naturelle des choses. On a du chemin à faire...
J'ai été éduquée chez les bonnes soeurs. La meilleure chose qu'elles m'aient apprises, c'est le partage et la générosité. Et encore, je ne suis toujours pas un exemple en la matière ! Nul n'est parfait.
Un beau film, tendre, humain, qui fait réfléchir, qui fait discuter dans les familles. Guédiguian n'est pas un donneur de leçon, mais un utopiste. J'aime ! On ne peut pas changer le monde ? On peut essayer au moins...
La critique et le public ont largement salué le film, qui a par ailleurs été ovationné pendant quinze minutes après sa projection à Cannes.
Tout ne serait-il pas perdu ?
C'est bien là l'espoir de l'ami Guédiguian. Et de quelques autres.