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Interstellar : Nolan perdu dans l’espace

Publié le 08 novembre 2014 par Unionstreet

Dans un futur proche sur une Terre exsangue, un groupe d’explorateurs utilise un vaisseau interstellaire pour franchir un warmhole (dit « trou de ver »), récemment découvert, pour parcourir des distances jusque-là infranchissables et trouver une nouvelle planète habitable à coloniser pour l’humanité.

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Dans son éditorial des Cahiers du Cinéma de novembre 2014, consacré au Psychédélisme, Stéphane Delorme affirme : « Pour prendre deux exemples aux antipodes : Gravity d’Alfonso Cuaron est forcément impressionnant, mais il n’a tellement pas l’ampleur narrative, fictionnelle, philosophique, d’un 2001, qu’il semble surtout s’adresser aux geeks, des geeks qui enterrent chaque jour le rêve psychédélique par leur obsession exclusive de la technique (mais attendons Interstellar). »

Qu’en est-il alors du dernier film de Christopher Nolan ?

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Une tentative ambitieuse…
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Ce qui interpelle immédiatement au premier visionnage d’Interstellar, c’est la vision romantique de l’odyssée de Nolan.

Avant de s’interroger sur l’Humanité et de son avenir, comme on pouvait s’y attendre, le metteur en scène s’attache avant tout aux rapports entre un père et sa fille. Et on ne peut que constater qu’il le fait avec brio.

En suivant un schéma narratif certes classique, Nolan prend le temps de nous faire découvrir la famille du héros, ainsi que ses rapports avec son père et ses enfants. Matthew McConaughey est d’ailleurs bouleversant dans son rôle de père qui tente tant bien que mal de tout faire tenir en place dans un environnement apocalyptique.
Nolan, dans une volonté diablement romanesque, s’acharne à nous faire aimer ses personnages, et il y parvient sans difficulté.

Après avoir posé son sujet et bâti de solides piliers à son récit, le metteur en scène aborde enfin le voyage spatial.

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En premier lieu perdu dans son propre monde, débordé par les catastrophes écologiques (qui rappelle les Dust Bowl des années 30) et le manque de ressources, l’Homme tente son ultime coup de poker : coloniser une autre planète habitable.

Très fort visuellement, techniquement, et même sensoriellement, avec des instants à couper le souffle, Nolan parvient à nous éblouir tout en questionnant notre rapport au temps. Vu par beaucoup comme une unité inaltérable, la dimension temporelle devient un élément clef de l’intrigue et des choix que devra faire l’équipage.

Même s’il est très souvent dépassé, confronté à des puissances, des « fantômes » qui (en apparence) le dépassent, l’Homme parvient toujours, selon Nolan, à trouver une solution. Mieux, il est la solution : avec un anthropocentrisme certes réfutable mais complètement assumé, le réalisateur parvient à magnifier l’Homme tout en le mettant face à l’inconnu.

Mais c’est ici que Nolan metteur en scène laisse place au Nolan professeur.

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… dont les efforts sont détruits dans le dernier tiers du film
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Il est évidemment injuste de comparer Interstellar à 2001 : l’Odyssée de l’Espace. Pourtant, il semblerait que Nolan cherche la comparaison tant les hommages et références au chef-d’oeuvre de Kubrick se font sentir, autant dans le travail de mise en scène, du son, de la musique, des personnages, que dans sa tentative de repousser les limites de l’entendement humain.

2001 est une oeuvre métaphysique, sensorielle, même psychédélique pour certains. C’est un monument du cinéma, qu’aucun cinéphile digne de ce nom ne peut négliger.
Ce n’est pas juste un film de science-fiction, c’est une odyssée philosophique, où le voyage spatial sert de parfait cadre à une réflexion intense. Pourtant, le Kubrick philosophe n’en oublie jamais son rôle de metteur en scène et nous offre, en plus d’une réflexion intense, une histoire bien bâtie soutenue par une image magistrale.

Si vous aviez peur de tomber dans ce genre de trip métaphysique avec Interstellar, n’ayez crainte. Nolan nous prend littéralement par la main, et nous explique absolument TOUT.
Aucune place au doute à la sortie de la salle. Le réalisateur prend le temps de tout décrire, de tout expliquer, de tout déchiffrer. Si bien que le spectateur n’a plus aucune question à se poser. Il est là pour regarder, admirer, et acquiescer.

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Dans son 2001 l’Odyssée de l’Espace, Kubrick nous pose des questions, et surtout, plus important encore, il n’y répond pas. Il s’interroge, et nous interroge.
C’est un des aspects fondamentaux de l’Art, poser des questions, et non pas donner des réponses.

Pourquoi ? Pourquoi alors Nolan s’est-il s’acharné à décortiquer les moindres rebondissements de son film ?

On pourrait tenter de défendre le metteur en scène en disant que ce sont les studios qui voulaient que le film soit compréhensible, même pour les twittos du fond de la salle.
On pourrait par ailleurs reprocher à la critique faite plus haut d’être trop « cérébrale », trop intellectuelle : peut-être que Nolan n’a jamais souhaité faire un film de la trempe de 2001. Peut-être voulait-il plutôt proposer une belle histoire, un conte de fées, optimiste sur l’avenir de l’Humanité (même si cela est difficilement crédible vu les efforts de mise en scène du dernier tiers).

Soit. Le film, cantonné par des exigences et des codes de blockbuster, a ses obligations. C’est décevant, mais habituel pour ce genre de productions.

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C’est ici qu’apparaît un autre problème, bien plus critique.

Christopher Nolan choisit de nous expliquer les tenants et les aboutissants de son film… par le verbe ! Il nous écrase, nous martèle ce qu’il a à nous dire pendant plus d’une heure !

Pourtant, le cinéma est un langage, un langage que le metteur en scène se doit de maîtriser. Sans cette maîtrise, le film s’effondre. Soit dans une incompréhension totale, soit dans une verbosité insupportable.
Là est la plus grande frustration créée par le film. Entre les descriptions scientifiques interminables dont le tout le monde se fout (qui agace dès le premier tiers du film), les équations mathématiques qui mesure des kilomètres (pour être finalement miraculeusement résolue) et l’explication finale, tout est justifié par le mot, par le verbe.

Ce phénomène n’est pas nouveau chez Nolan. On pouvait déjà s’inquiéter avec Inception, où Cobb (Leornardo Di-Caprio) et Arthur (Joseph Gordon-Levitt) s’entêtent à tous nous expliquer pour que nous, spectateurs un peu débiles, ne soyons pas trop perdus.
Mais avec les thèmes abordés par Interstellar et la maturité acquise du réalisateur, nous étions en droit d’espérer une mise en scène magistrale, des dialogues épurés, et surtout du sous-texte.

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Là où Kubrick nous laissait libre de nos interprétations, Nolan est atrocement verbeux, extrêmement didactique.
La réflexion métaphysique est strictement impossible. Ce qui est problématique quand on constate avec quelle ardeur le metteur en scène tente de s’interroger sur l’Homme, sa place dans l’univers, ainsi que son avenir.

Il semble que les critiques (et les éloges) adressées à Gravity dans le dernier édito des Cahiers du Cinéma soient tout autant valables pour Interstellar : un film ayant des qualités irréfragables, surtout dans ses deux premiers tiers (une première partie romantique, une seconde spectaculaire), mais dont l’ambition et la sensibilité sont détruites dans le dernier acte par une nette propension à la technique et une verbosité aliénante.

Quel dommage. Christopher Nolan a frôlé le chef-d’oeuvre.

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