Sous le pseudonyme forcément familier de Mr. Oizo, Quentin Dupieux s’incarne à l’évidence comme un musicien atypique (« TUE TUE TUE TOUT L’MONDE VOICI LA MUSIQUE D’ORDINATEUR TIRE OU MEURS »). C’est peut-être en jouant des frontières entre l’absurde embarrassant et le rouleau compresseur loufoque que ses compositions fédèrent. Et parce qu’il officie aussi et surtout derrière la caméra, Dupieux dévoile en définitive un imaginaire d’une richesse fascinante. Éclairé de références surréalistes et avec une écriture rappelant le cinéma d’exploitation, l’homme déroule de Steak à Rubber une filmographie éclectique, quoique motivée par les mêmes leitmotivs. D’abord conçu comme une série dont les trois premiers chapitres étaient dévoilés en 2013 au Festival de Sundance et faisaient grand bruit, Wrong Cops n’est pas la suite de son 4ème film Wrong, qui lui précède de deux ans, mais est bien une nouvelle histoire.
Les personnages de Wrong Cops sont des bonshommes en uniformes de flics servant leurs intérêts & vices propres. Oubliés les citoyens bien rangés de cette banlieue américaine, décor d’une tranche de vie suspendue où se recoupent les trajectoires en zig-zag des personnages. Drogue, bavures et carrières dans la musique sont au vocabulaire de ces chers agents de la paix.
Il convient qu’une analyse poussée du scénario de Wrong Cops pourrait verser dans le verbiage et la sur-interprétation. Dupieux s’efforce à construire un tout cohérent autour d’une idée abstraite, se défait des contraintes de forme et de la sur-élaboration du fond. Son film est drôle, résolument moins absurde que ses précédents essais, et pourrait même séduire les plus allergiques en cela qu’il applique une démarche inverse à celle de Wrong. Quand la quête de Paul pour retrouver son chien s’articulait dans un univers aux engrenages grippés, ici le monde n’est plus dysfonctionnel dans son ensemble et seul ses acteurs principaux, les policiers, le sont.
Même si le langage a changé, l’alchimie absurde agit avec la même superbe, entre malaise et gags sortis d’un nulle-part banalisé. La facture négligée y est pour beaucoup, d’une image vieillissante et hasardeuse aux facéties d’un script qui ne se refuse la gratuité d’aucuns débordements. S’en démarque une avalanche de répliques pétaradantes échangées par une galerie d’acteurs en forme (le fantastique Mark Burnham) – dont d’illustres visages, le film s’offrant un caméo de Marilyn Manson comme d’Eric Roberts. Quant à l’autre Eric du film, Judor continue lui aussi de naviguer tout à son aise dans les eaux troubles du cinéma de Dupieux après Steak et Wrong.
Pari réussi ? En OVNI, difficile de dire si Wrong Cops est à mettre en toutes les mains. Rythme en dent de scie, partis pris dans l’illogique et l’irrationnel forts mais pesants… Pourtant plus qu’un grand tintamarre, Wrong Cops est un film dont la variété thématique et obsessive le démarque tout autant que ses sursauts comiques. La réflexion sur le cinéma comme médium se veut plus discrète qu’à l’accoutumée, mais transparaissent sans aucun doute des intentions proches des premiers travaux de Dupieux (le fameux « This is not a movie » qui vient invoquer son Nonfilm de 2001, ses mises en abîmes et l’idée d’un cinéma s’auto-refusant en tant que tel). Personnage à part entière, la bande originale du film (un best-of de la discographie d’Oizo) complète à son tour la palette des enjeux ; les clins d’œil sonores de l’auteur à son spectateur tenant peut-être même plus que de la simple private joke.
Wrong Cops est audacieux dans ce qu’il incarne d’une vision de cinéma à rebours d’un héritage d’écriture français très littéraire. Dupieux n’est pas verbeux, ne sur-intellectualise jamais mais ne compose pas en appel d’air, enfilant d’ailleurs toutes les casquettes (il réalise, écrit, monte, compose et apporte ses soins à la photographie de Wrong Cops). Son puzzle intrigue, épuise, mais impressionne et stimule avant tout par la créativité mûre et impertinente dont il fait preuve à chaque séquence. Un rêve de cinéma où tout est permis avec la cohérence d’une démarche qui jamais ne s’égare… Et un cauchemar pour les inconquis. Espérons qu’ils ne soient pas légion.
Wrongs Cops. De Quentin Dupieux. Avec Mark Burnham, Eric Judor, Steve Little, Eric Wareheim, Arden Myrin, Daniel Quinn, Marilyn Manson, …
Sortie en DVD le 4 novembre 2014.