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Lille : oh ! trésors - 2. exposition sésostris iii : de la personnalité royale

Publié le 11 novembre 2014 par Rl1948

      Seule une momie de pharaon, lorsqu'elle a été préservée, donne peut-être une information de première main sur la vie privée du sujet : quel était réellement son aspect, de quelles maladies a-t-il souffert, de quoi est-il mort ?

     Dans le cas précis des rois du Moyen Empire égyptien, cette information-là n'est même pas disponible, aucun corps n'ayant été retrouvé dans les chambres funéraires des pharaons de la XIIème dynastie.

     Que reste-t-il, alors, d'une éventuelle biographie de Sésostris III ?

Pierre  TALLET

Sésostris III et la fin de la XIIème dynastie

Paris, Pygmalion, 2005

p. 8

     La semaine dernière, souvenez-vous amis visiteurs, je vous ai conviés à délaisser un temps notre "terrain de jeu" habituel, la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre et à emprunter, qui sa voiture, qui le Thalys en provenance de Paris ou de Bruxelles aux fins de tous nous retrouver dans la plus flamande des villes françaises,

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dans cette si belle "Capitale des Flandres", comme la tradition aime à définir la métropole lilloise ; puis, plus spécifiquement encore en son prestigieux Palais des Beaux-Arts,

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le plus grand musée de France, après le Louvre, évidemment

     Les conditions atmosphériques s'y prêtant admirablement, j'avais pour ma part, observateur admiratif de ces pignons flamands à pas de moineaux, préféré m'y rendre au pas de course, en voiture décapotée ...

LILLE : OH ! TRÉSORS - 2. EXPOSITION SÉSOSTRIS III : DE LA PERSONNALITÉ ROYALE

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     En prémices à l'"événement" pour lequel nous avons tous consenti ce déplacement vers le Nord, nous découvrîmes le samedi matin, dans l'atrium,

 

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une autre exposition - Voyage au bout de la vie - proposant la réflexion personnelle de deux artistes contemporains, Antony Gormley et Wolfgang Laib, à propos de la croyance égyptienne en une éternité post mortem.

     Nous étions ensuite descendus vers le deuxième sous-sol pour nous arrêter au bas des marches, devant l'entrée de l'espace muséal proprement dit faisant la part plus que belle à un souverain égyptien et à son époque, la XIIème dynastie (Moyen Empire), intitulé Sésostris III, pharaon de légende ; titre qui, ceci précisé au passage, reprend la première partie de celui d'un article fondateur que Michel Malaise (Université de Liège) publia en 1966 dans la Chronique d'Égypte, puisque ce dernier ajoutait pour sa part : ... et d'histoire

 

Mur jaune, niche Sésostris British Museum

     L'aire dédiée à cette toute première manifestation égyptologique lilloise fut par les Commissaires, Mesdames Guillemette Andreu-Lanoë, Conservatrice générale et Directrice honoraire du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre à Paris et Fleur Morfoisse, Conservatrice des Antiquités et des Arts décoratifs du Palais des Beaux-Arts de Lille, subdivisée en quatre sections distinctes, géométriquement d'inégale importance, certes, mais toutes d'un très grand intérêt.

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(©  OsirisNet - Merci Thierry)

     Si la deuxième partie de l'itinéraire qui sera nôtre dans les semaines à venir - Un Empire toujours plus vaste, (en rouge sur le plan ci-dessus) -, mettra l'accent sur l'aspect guerrier de la personnalité du souverain, ainsi que sur les fouilles entreprises voici un demi-siècle par l'Université de Lille III sur les terres de la Nubie soudanaise qu'il avait jadis conquises ; si la troisième - Le monde des dieux, le monde des morts, (en bleu sur le même plan) -, évoquera les croyances religieuses et les rites funéraires, et nous offrira en outre l'opportunité d'accéder à l'intérieur de la chapelle du nomarque Djehoutyhotep, à Deir el-Bersheh, monument reconstitué en 3D ; et si la quatrième et dernière - La légende de Sésostris, (en vert) -, insistera sur la vénération posthume dont il fut gratifié, c'est évidemment la toute première section - Le pharaon, sa cour et ses sujets, (en jaune) -, qui monopolisera d'abord notre attention.

     Vous vous doutez bien, j'espère, que je n'aurai ici, au sein de mon modeste blog, nulle prétention à l'exhaustivité : j'escompte en effet plébisciter des pièces qui me paraissent représentatives ou qui constituent des "coups de coeur" particuliers, aux fins de créer chez vous un inextinguible besoin : celui de vous rendre toutes affaires cessantes à Lille.  

     De sorte qu'à l'heure actuelle, je suis dans l'incapicité totale d'estimer le laps de temps pendant lequel, de mardi en mardi, je vous retiendrai en son Palais des Beaux-Arts pour admirer de conserve les "trésors" que cette remarquable exposition recèle, - je me suis laissé dire qu'il s'agissait de la première au monde entièrement consacrée à ce souverain, le cinquième d'une XIIème dynastie qui en compta huit.

      Le Professeur Malaise, Sésostris ... Les plus assidus parmi vous se souviendront peut-être de ces deux noms associés pour avoir lu ici, sur mon blog, la traduction que j'avais proposée à l'été 2012 du célèbre Roman de Sinouhéréalisée sous la férule du Maître lors de mes études à l'U.Lg.

     Mais là, il s'agissait de Sésostris Ier

     Alors que les enseignants des écoles secondaires nous ont à l'envi essentiellement familiarisés avec les incontournables Thoutânkhamon et Ramsès II, que savons-nous du Sésostris "lillois", mis à part qu'il fut le troisième et dernier du nom ?

      De quelles sources disposons-nous en vue d'esquisser la personnalité de ce souverain ?

     

     Convoquons d'abord à la barre, voulez-vous, les auteurs classiques tels Aristote, Erathostène, Strabon, Diodore de Sicile, Pline l'ancien, Hérodote bien sûr, le premier d'entre eux, pour ne citer parmi tant d'autres que ceux auxquels j'ai déjà moult fois fait allusion, qui l'évoquent peu ou prou, mêlant sans discernement des événements que l'on sait maintenant avoir été propres à Amenemhat Ier ou à Sésostris Ier, ses prédécesseurs immédiats à la même XIIème dynastie, voire à Séthi Ier ou à Ramsès II, lointains successeurs de la XIXème dynastie, pour brosser la geste du souverain en lui prêtant qui le nom de Sesoukhosis, qui celui de Sesoosis, ou Sésothis, ou encore Sostris ... 

     S'autorisant de la tradition grecque, la communauté égyptologique contemporaine retient Sésostris.

     Pour les anciens Égyptiens, il naquit Senousret, comprenez : "L'homme de la Puissante", c'était son nom de "Fils de Rê", entouré d'un cartouche, son "praenomen", diront plus tard les Romains, lacinquième et dernière appellation de sa titulature. Puis, en guise de nom de trône, de nom de roi de Haute et Basse-Égypte donc, constituant la quatrième appellation de sa titulature officielle - elle aussi inscrite dans un cartouche-, il choisit personnellement Khakaourê, c'est-à-dire : les Ka(ou) de Rê apparaissent  :

Cartouches-de-Sesostris-III.jpg

     Tout se complique aux yeux des égyptologues quand il s'agit de considérer sa famille. L'absence et l'imprécision des documents exhumés sont telles qu'une extrême prudence s'impose. Ainsi Pierre Tallet estime-t-il, quand il aborde ce sujet, devoir assortir ses propos d'adverbes ou de locutions adverbiales portant haut l'incertitude (probablement, peut-être,sans doute) ou encore de formules introductives peu péremptoires (il est vraisemblable que, il est possible que), sans oublier l'emploi du mode conditionnel dans la conjugaison de ses verbes.  

     Foin de circonlocutions, mais néanmoins gantés, fournissons ici quelques données : succédant à Sésostris II, "notre" Sésostris III serait le fils de Khenemet-nefer-hedjet, entendez : "Celle qui s'unit à la couronne blanche"fils d'une des épouses de ce prédécesseur.

     Toutefois, cela ne signifie nullement que Sésostris II soit bien son père.

     Ce qui "ravit" les généalogistes et entraîne en leur chef d'interminables discussions, c'est que la propre compagne de Sésostris III portait elle aussi le nom de Khenemet-nefer-hedjet. Parfois, dans les documents d'époque, l'homonymie entre les deux reines, mère et belle-fille, entraîna la nécessité d'ajouter un adjectif évaluant approximativement son "âge" : ouret, l'ancienne et khered, la jeune ; ce qui devint en Égypte par la suite habitude récurrente dans semblables circonstances.  

     Je ne pense pas que s'en souvinrent les hommes du Moyen Âge qui, quand ils souhaitèrent établir une distinction entre les différents Jean, Jacques, Pierre ou Paul qui de plus en plus peuplaient les villages, les affublèrent eux aussi de surnoms qui les caractérisaient, comme vieux, jeune, grand, petit, beau, etc. De sorte qu'au moment de l'Ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François Ier en 1539 pour imposer la langue française dans les écrits administratifs, notamment dans les registres d'Etat-Civil qui remplacèrent les anciens registres paroissiaux tenus par les ecclésiastiques, cela donna naissance à ce que l'on appelle désormais nos noms de famille.

    

     Lejeune, pour ne prendre qu'un exemple parmi les plus importants 

LILLE : OH ! TRÉSORS - 2. EXPOSITION SÉSOSTRIS III : DE LA PERSONNALITÉ ROYALE
, - à tout le moins les plus fréquents, voire les plus banals -, doit comme beaucoup d'autres son origine à cette coutume onomastique inhérente vraisemblablement plus à l'accroissement de la population médiévale qu'à la réminiscence des appellations égyptiennes.

     Mais revenons à Sésostris III pour ajouter que la reine Khenemet-nefer-hedjet (la jeune) qui, si l'on en croit la statuaire, semble être la principale de ses épouses officielles, n'est pas nécessairement la mère de son fils et successeur Amenemhat III dans la mesure où aucune source ne nomme celle qui réellement le mit au monde.

     Jusque là, vous me suivez tous ?   

     Avant de franchir la porte vitrée, là-bas, sur notre droite,

 

Entrée exposition Sésostris III

portons notre regard sur la toute première oeuvre, la statue présentée sur le socle qui se détache de ce "petit pan de mur jaune", face à nous. 

     Détenue par  le British Museum (BM EA 686), provenant de la colonnade supérieure du temple funéraire de Montouhotep II, à Deir el-Bahari, elle fut taillée dans du granodiorite.

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(© British Museum)

     D'une hauteur de 142 centimètres, d'une largeur de 56 et d'une profondeur de 53, elle nous familiarise avec une première figuration de Sésostris III debout, relativement mutilé au niveau des bras mais dont il subsiste les mains ouvertes posées à plat sur son pagne à devanteautriangulaire,dans l'attitude révérencieuse qui s'imposait face à une divinité mais qui, eu égard à son emplacement d'origine, matérialise plus certainement le respect dû à ce Montouhotep II qui réunifia l'Égypte après la chute de l'Ancien Empire et les troubles de la Première Période Intermédiaire qui s'ensuivirent.

     Ce monument faisait d'ailleurs partie d'un ensemble de sept effigies identitaires semblables que le roi avait souhaitées grandeur nature aux fins que son peuple les aperçût depuis la rive opposée du Nil, à Karnak, et qu'il comprît ainsi à travers elles la déférence, la reconnaissance qu'il vouait à celui qui l'avait devancé sur le trône de quelque 150 années.

     Trois d'entre elles vous attendent côte à côte si, d'aventure, vous vous rendiez à Londres.

SESOSTRIS-III--3-statues----British-Museum.jpg

(© Ce site)

     Déprenez-vous, amis visiteurs, de cette idée - qu'eurent d'ailleurs les premiers égyptologues bien avant vous, je vous rassure ! -,  que vous êtes là en présence de photographies pétrifiées et en trois dimensions, pour reprendre l'excellente image de l'égyptologue belge Dimitri Laboury ; que vous êtes en présence de portraits volontairement réalistes d'un homme vieilli, logiquement fatigué par la vie ou d'un roi usé par le pouvoir ...

     D'abord, et même si les "écoles" égyptologiques ne parviennent pas encore à se mettre d'accord quant à son ascendance et à sa descendance, je viens tout à l'heure de quelque peu insister là-dessus, et guère plus sur la longueur de son règne, il paraît vraisemblable qu'il ne gouverna qu'une petite vingtaine d'années, 19 ans constituant le nombre actuellement retenu.

     Exit donc l'argument qui voudrait qu'il portât sur son visage les stigmates d'un pouvoir qui l'eût épuisé avant l'heure !

     Ensuite, je n'aurai, en cela précédé par le grand connaisseur de l'art égyptien qu'était feu l'égyptologue belge Roland Tefnin et par son épigone de talent qu'est mon ami Dimitri Laboury, qu'une question à vous poser pour définitivement mettre à mal cette conception surannée : pensez-vous vraiment que les artistes égyptiens de cette époque étaient à ce point incompétents qu'ils ne furent pas à même, alors qu'ils étaient aptes à vieillir les traits d'un visage dans la pierre, d'obtenir semblable résultat pour ce qui concerne le corps du roi ? Car, et vous l'aurez évidemment remarqué, cet homme aux traits tirés a miraculeusement conservé une carrure d'athlète musclé, aux pectoraux bien dessinés, à l'allure franchement sportive et juvénile !

     En défintitive, le rêve de tout homme atteignant la cinquantaine, et plus ...

     Mais qu'est-ce donc qui motiva cette dichotomie entre le rendu facial et celui  du corps ?

     C'est, grâce à quelques autres "portraits" que nous croiserons dans l'exposition, ce que je me propose de vous expliquer la semaine prochaine en convoquant cette fois non plus les auteurs antiques mais des égyptologues contemporains ... si tant est que vous ayez encore envie de me rejoindre ici, au deuxième sous-sol du Palais des Beaux-Arts de Lille.

     A mardi  ??

BIBLIOGRAPHIE

LABOURY  Dimitri

Le portrait royal sous Sésostris III et Amenemhat III, dans Egypte, Afrique & Orient 30, Avignon, Centre vauclusien d'égyptologie, 2003, pp. 55-64. 

TALLET  Pierre

Sésostris III et la fin de la XIIème dynastie, Paris, Pygmalion, 2005, pp. 11-21.


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