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"Chez la femme tout est une énigme ; mais il y a un mot à cet énigme : ce mot est grossesse" (Friedrich Nietzsche).

Publié le 12 novembre 2014 par Christophe
Pas trop de suspense sur le sujet de notre livre du jour, avec ce titre, n'est-ce pas ? Eh oui, nous allons parler d'une femme enceinte. Pardon, je reformule, nous allons écouter parler un femme enceinte. Dans son dernier livre, Emilie de Turckheim nous propose un journal dans lequel elle raconte cette expérience si particulière. Mais, comme nous avons là une jeune femme entière, une vraie nature, un caractère plein de fantaisie faisant fi des conventions, ce journal va au-delà du simple exercice de diariste. "La disparition du nombril", publié aux éditions Héloïse d'Ormesson, tient autant de l'auto-fiction et même peut-être du roman que du récit quotidien des événements et des impressions. Bienvenue dans la vie d'Emilie de Turckheim, attachez vos ceintures, il y a des risques de turbulence et de plonger en pleine folie douce...

Un 15 août. Jour où l'on fête la montée au ciel d'un vierge, une autre femme était aux anges : son test de grossesse venait de réagir positivement. Emilie, déjà maman un petit Marius, né 15 mois plus tôt, attend un heureux événement ! Et c'est cette période d'environ 9 mois qu'elle a décidé de raconter dans un journal.
Enfin, plus exactement, c'est sa vie, ses aléas, ses surprises, bonnes ou moins agréables, le monde tel qu'il va et, en son sein, le monde d'Emilie et du bébé qui se développe dans son ventre, les deux n'allant pas toujours ni dans le même sens, ni au même rythme, que nous découvrons. Si vous n'avez jamais rien lu d'Emilie de Turckheim, préparez-vous à être gentiment décoiffé !
Au cours de cette période pas ordinaire, Emilie, qui vit "depuis 27 ans dans la cocotte hormonale d'une sixième semaine de grossesse", va sans cesse passer du rire aux larmes, mais avec un net avantage pour les émotions positives. Elle ne se décourage pas, ou rarement, affronte les événements avec une humeur égale et souvent joyeuse. Même les mauvaises nouvelles, nous y reviendrons.
Il faut dire que Emilie n'a pas vraiment le temps de s'ennuyer. Elle bosse à sa thèse et utilise ses recherches pour une étude destinée à une association de lutte contre le sida, elle est visiteuse de prison et va  poursuivre le plus longtemps possible cette activité, elle pose nue pour des apprentis peintres dans un cours. Et, euh... ah oui, elle essaye d'écrire aussi.
Et puis, il y a la vie personnelle, aussi. Jeune maman d'un premier enfant (à ce propos, deux ans d'écart entre la naissance des deux bébés, ça vous paraît bien, pas bien ? Le débat fait rage pendant ces 9 mois...), femme amoureuse et libre, qui se moque bien du regard qu'on peut porter sur elle et vit selon ses choix, ses envies.
Emilie profite de ces mois pour se raconter, nous parler de sa vie sentimentale mais aussi de sa vie sexuelle, plus agitée encore. Oui, pour ceux qui pensent encore que le papa plante une graine, que les garçons naissent dans les choux et les filles dans les roses, là, le démenti est cinglant... Mais, la sensualité est l'une des facettes de la personnalité d'Emilie et, en ces temps où les sens sont exacerbés, quoi de plus logique ?
On voyage, aussi, pas seulement dans le temps, mais dans l'espace. Une vraie nomade, cette Emilie, avant que la vie de famille ne la rattrape. Désormais, les voyages, de durée variable, sont pour l'agrément, comme ce séjour au Japon, sans doute le dernier trajet au long court avant que la famille s'agrandisse...
Et, finalement, il y a un côté carnet de voyage aussi, dans "la disparition du nombril". Un périple de 9 mois, avec pour point de départ ce trait bleu, apparu presque par miracle sur ces étranges objets (oui, je suis un mec, ça se voit tant que ça ?) que sont les tests de grossesse et qui va s'achever par l'apparition d'un petit être aux cheveux bruns et qui crie fort...
Le guide, c'est cette jeune femme dont le corps change (ce n'est pas saaaaale, comme disait l'autre) et qui voit aussi les regards qu'on porte sur elle changer. Comme si être enceinte, devenir mère faisait entrer dans un monde différent. Il est amusant d'ailleurs de voir comment les peintres pour qui elles posent, et avec lesquels elle n'a qu'un contact indirect, envisagent cette grossesse dans leur travail. Ami psy, je crois que tu as encore de beaux jours devant toi, il y en a de l'inconscient, là-dedans !
J'ai l'impression d'écrire ce billet un peu à la va-comme-je-te-pousse, mais il est clair qu'on est dans un récit très déstructuré, avec un cordon ombilical comme unique fil conducteur pas dans un roman classique. Pourtant, l'écriture d'Emilie de Turckheim rend le livre bien différent des récits autobiographiques qui pullulent en librairie et qui ne sont pas vraiment ma tasse de thé.
Emilie de Turckheim ne témoigne pas. "La disparition du nombril", ce n'est pas "Moi, Emilie, 27 ans, mère de famille, écrivain et enceinte". Non, la manière même dont elle choisit de raconter cette expérience personnelle, avec ce style si particulier auquel elle a recours dans son oeuvre romanesque, qui elle-même s'inspire beaucoup de sa vie. Vous me suivez ?
J'avais évoqué sur ce blog "Une sainte", son précédent livre, véritable fiction utilisant des pans de sa vie, en particulier son expérience de visiteuse de prison, et j'avais été scotché par la folie, la fantaisie, la poésie et l'optimisme qui se dégage de cette écriture. Ici, je l'ai retrouvé, dans un contexte totalement différent, en tout cas, sur le plan littéraire.
Jusqu'ici, Emilie de Turckheim écrivait des romans, incontestablement, enfin, je l'espère, vu ce qu'on y trouve quelquefois, mais fortement autobiographiques. Là, c'est une autobiographie, une tranche de vie, mais que l'écriture de son auteure nourrit comme une (auto-)fiction. Et franchement, ça marche. On s'attache à cette jeune femme qui n'a pas de tabou et semble toujours positive. Et on la soutient.
Parce que non, tout n'est pas rose. Oh, il y a les petits désagréments, physiologiques, comme cette nausée, inséparable compagne, ou sociaux, comme dans le bus, où le tandem poussette/grossesse fait des étincelles. Les questions qui font débat, comme le futur prénom. Et puis, il y a les grosses inquiétudes, le vilain coup dur qui taraude, l'épée de Damoclès qui a pour nom ""trisomie 21".
C'est sans doute le passage qui m'a le plus marqué. Bon, bien sûr, c'est mon ressenti que je vous donne là et je ne vais pas m'étendre trop longtemps. Mais, cet épisode est si plein de douceur, de pudeur, d'amour et d'humanité qu'il redonne foi. Que dire ? Que faire dans une situation pareille ? Quel choix prendre ?
Faut-il infliger à cet être en devenir une vie qui sera compliquée, à plus d'un point de vue, à un être intrinsèquement fragile ? Ou bien faut-il faire abstraction de cela, parce que, quoi qu'il arrive, cet enfant sera le plus beau et le plus choyé des bambins ? Je n'ouvre pas de débat, je n'ai pas de réponse à cette question et je n'aimerais pas être confronté à ce choix.
Comme tous les thèmes abordés dans ce livre, celui-ci aussi est vu par le prisme de l'autre, et pas seulement dans une démarche égocentrée. Qu'il est facile d'avoir un avis quand on n'est pas celle qui est directement concernée ! Quant à Emilie elle-même, on sent l'inquiétude, la souffrance, aussi, je n'en doute pas, mais sa personnalité extravertie, ébouriffante, prend le dessus, donne le change...
Mais que ces jours d'attente ont dû paraître long, ont dû être dur à vivre... Aucun moment de faiblesse, pour autant, aucun doute chez cette femme aux apparences fofolles et perpétuellement enjouées, qui est en fait bien plus profonde que doivent le croire les inconnus qui la voient passer. Quelle force et quel caractère !
Il y a tout de même un personnage qui est en retrait : le père. Pardon, loin de moi l'idée de m'immiscer dans la vie privée de cette famille, mais c'est vrai que le géniteur, un des rares personnages dont on ne connaît pas le prénom, il est juste appelé F., comme dans un récit licencieux du XVIIIe, est finalement très peu évoqué dans ce journal.
Comme si sa tâche principale avait été rempli avant que le journal ne commence. Oui, la petite graine, tout ça, enfin, bon, je ne vais pas vous faire un dessin... "La disparition du nombril", c'est vraiment l'aventure personnelle d'une mère face à son ventre et à la "petite prune" qui s'y développe. La relation symbiotique de ces deux êtres qui, quelque part, fait du père un spectateur parmi d'autres...
Là encore, c'est ma lecture, je tiens à le préciser. Je suis pour la paix des ménages ! Mais cette mise en retrait du père doit travailler mon ego surdimensionné de mâle (pas franchement) dominant. Cette distance, en tout cas telle que je l'ai ressenti à la lecture du livre, m'a troublé. A tort ou à raison. Peut-être parce que j'aurais voulu lire son journal à lui aussi, en parallèle.
Voilà, c'est une lecture différente de celles que nous partageons d'habitude, assez loin également de mes inclinations livresques courantes. Mais je me suis laissé porter, sans doute grâce à l'écriture d'Emilie de Turckheim qui nous transmet des émotions et de la puissance à chaque ligne. Vous la croyez déconneuse, cinglée, à l'ouest, pas dans les normes ? Oui, et alors ?
Bien au contraire, Emilie de Turkheim fait souffler un vent de fraîcheur sur ses lecteurs. Et elle apporte un regard non pas insolite, mais singulier sur cette période qui peut apparaître naturelle et ordinaire, mais ne l'est en aucun cas. Là encore, je ne suis sans doute pas le mieux placé pour dire cela, mais sans doute bien des mères se reconnaîtront dans ce parcours, en tout cas dans le fond, même si la forme, elle, est estampillé Turckheim.
On ressort de cette lecture avec un sourire grand comme ça, des papillons bleus et roses (et de plein d'autres couleurs, pas d'amalgame ni de théorie du genre ici, enfin !) plein les yeux et l'envie de régresser stupidement pour faire risette, grimaces et gouzigouzigouzis à un petit (ou une petite) d'homme qui deviendra grand(e)...
Oui, je suis un lecteur gâteau et je le revendique. La vie, si elle est racontée de façon originale comme à travers la plume d'un véritable écrivain, et c'est ce qu'est, incontestablement Emilie de Turckheim, prend alors une toute autre dimension. On voit écrit le mot "journal" sur la couverture de "la disparition du nombril", mais on le lit comme un roman et ça fait un bien fou !

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