#Jérusalem #religions #MontduTemple #esplanadedesmosquées
Régulièrement, fondamentalistes messianiques, mais aussi des politiciens et des éditorialistes, évoquent l’argument de la « liberté de culte » pour réclamer le droit pour les Juifs de prier sur l’esplanade des mosquées à l’endroit où se dressait le Temple d’Hérode il y a deux mille ans. Même Nahoum Barnéa, le principal commentateur de Yediot Aharonot formule l’hypothèse qu’en juin 1967, immédiatement après la conquête de Jérusalem Est, « Israël aurait pu imposer aux musulmans l’installation d’une synagogue sur une partie de l’esplanade. »
En fait, à l’époque, les dirigeants israéliens ont pris des mesures destinées à empêcher toute main mise juive sur ce lieu saint islamique. Déjà, avant même de donner l’ordre d’occuper la vieille ville de Jérusalem, Moshé Dayan, le ministre de la défense, se posait une question fondamentale : « Pourquoi avons-nous besoin d’un tel Vatican ? ». Il s’en serait bien passé. Le 7 juin, 1967, l’aumonier de Tsahal, le général rabbin, Shlomo Goren, installe une synagogue temporaire sur l’esplanade des mosquées. Arrivé sur place, Dayan ordonne aux soldats de retirer le drapeau israélien placé sur le Dôme du rocher et fait évacuer Goren et son unité du rabinat militaire.
Le mont du Temple aux Musulmans
Pour leur part, les Grands rabbins d’Israël, interdisent aux Juifs observants de se rendre sur l’esplanade en expliquant que la « Shehina » (l’immanence divine) existe toujours à l’endroit où se trouvait le Saint des saints dont l’emplacement est inconnu. Seul le grand prêtre avait le droit d’y pénétrer une fois par an, après de longs rites de purification. Le Grand rabbin ashkénaze, Isser Yehouda Unterman précise : « le Mont du Temple n’est pas encore libéré, puisque des mosquées s’y trouvent. Lorsque le Messie viendra et enlèvera les mosquées, alors le Temple sera reconstruit »
Le 17 juin, Dayan enlève ses chaussures et, à l’intérieur de la mosquée Al Aqsa, annonce aux cheikh Hassan Tahaboub et Saïd Sabri, les responsables musulmans qu’ils conservent la responsabilité de l’administration du Haram al Sharif au Waqf.
Le mois suivant, sous la pression de fondamentalistes messianiques, une commission ministérielle décide de confier à la police israélienne la mission d’y interdire la prière juive : « pour prévenir toute atteinte à l’ordre public ».
Mais Shlomo Goren ne l’entend pas de cette oreille. Il fait réaliser par l’armée un relevé topographique de l’esplanade et détermine le secteur où des Juifs devraient pouvoir se rendre sans commettre de sacrilège.
Les rabbins des colonies contre le Grand Rabbinat
C’est sur la base de cette étude, que, le 2 février 1996, le conseil des rabbins des implantations passe outre à l’interdit du Grand rabbinat, et publie un jugement de droit religieux autorisant les Juifs à se rendre sur l’esplanade des mosquées, mais en évitant de s’approcher du Dôme du rocher, où se trouverait le Saint des saints. Le 9 mai 2003, ces rabbins enfoncent le clou avec un nouveau décret : « non seulement, il est permis de se rendre sur l’esplanade des mosquées mais c’est une prescription religieuse que de la visiter ». La police israélienne a donc, progressivement, autorisé des Juifs religieux, à obéir à cette injonction rabbinique mais en leur interdisant toute forme de prière.
Cette « poussée » vers le mont du Temple est une étape logique dans la vision messianique des rabbins les plus activistes du sionisme religieux. Ils considèrent en effet que leur contrôle de la Cisjordanie ne peut plus être remise en question. Avec le soutien actif de la droite nationaliste arrivée au pouvoir avec de Menahem Begin, en 1977, la colonisation s’est développée au point qu’aujourd’hui il est quasi impossible d’évacuer, ne serait ce qu’une partie des 360 000 colons ce qui est pour eux la Judée- Samarie.
Pour progresser vers la rédemption, vers l’apocalypse, il faut à présent préparer la construction du trosième sanctuaire juif. Dov Lior, le rabbin de Kyriat Arba, l’implantation juive de Hébron, déclare que la génération actuelle doit effectuer des préparatifs, dresser des plans du futur Temple, obtenir le droit de prier sur l’esplanade.
Grippe ou cancer ?
Le sionisme religieux a donc conduit le pays à un point de non retour et, à gauche, le professeur Zeev Sternhell, un des fondateurs du mouvement « La paix maintenant » fait son mea culpa. : « Nous n’avons pas compris la profondeur de ces sentiments de nationalisme à la fois religieux et laïque, nous n’avons pas compris le sérieux de l’entreprise [ de colonisation] et c’est la raison pour laquelle nous avons laissé faire… ». Cette incompréhension n’a pas disparu après le massacre de 29 fidèles musulmans en février 1994 dans le caveau des Patriarches à Hébron, par Baroukh Goldstein puis le meurtre d’Yitzhak Rabin le Premier ministre en novembre 1995 par Yigal Amir. « Goldstein et Yigal Amir tous les deux, représentaient un courant idéologique et politique énorme, puissant, un véritable torrent et la gauche elle refusait de le voir, par poltronnerie, par peur parce que c’était commode. C’était commode de se voiler la face, se dire, il était plus facile de dire qu’on avait de la fièvre parce qu’on avait la grippe, que se dire qu’on avait le cancer, alors que c’était un cancer ».
Car les fondamentalistes messianiques ont dépassé l’affrontement politique entre la droite et la gauche. Moshé Kopel, colon, enseignant à l’université religieuse Bar Ilan explique : « Un nombre croissant de sionistes religieux et d’ultra-orthodoxes s’unissent et adoptent une idéologie fondée sur le rejet du droit des Israéliens séculiers à utiliser l’Etat pour imposer leurs valeurs »
Moshé Feiglin, aujourd’hui vice-président de la Knesset, va plus loin et définit ainsi ce projet de société : « Fonder un régime juif national, libérer la Terre d’Israël et vaincre ses ennemis. Créer une culture juive nationale entièrement fondée sur le Temple, et achever le rassemblement des dispersés »
Démocratie juive ?
Au delà de leur exigence du droit à la prière juive sur l’esplanade des mosquées, le combat des plus activistes parmi les sionistes religieux touche la nature même de la société israélienne. Sera-t-elle une démocratie séculière selon le modèle occidental ou une forme ou une autre de théocratie axée sur le Temple juif ? Déjà, depuis la création de l’état, la religion occupe une place centrale dans la vie quotidienne en Israël. L’état civil est aux mains des orthodoxes. Les fêtes juives sont chomées etc.
Dans cet affrontement fondamental, la gauche séculière devra surmonter ce qu’Almond, Appleby et Sivan qualifient, dans leur ouvrage « Strong religion » (University of Chicago Press), de « myopie » produisant « une vision réductrice de la religion, épiphénomène des réalités économiques, politiques et psychologiques. Le principe de la séparation entre l’église et l’état, était, depuis les Lumières, le principal critère de modernisation et de liberté individuelle. Cela conduit journalistes, diplomates et politiques à considérer la religion comme une affaire relevant exclusivement du domaine privé. »
La tâche s’annonce difficile. Selon la sociologue Tamar Hermann, cette gauche israélienne représente aujourd’hui 17% de la population juive, alors que 51% croient en la venue du Messie.