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[anthologie permanente] Suzanne Doppelt

Par Florence Trocmé

Les éditions P.O.L. publient Amusements de mécanique de Suzanne Doppelt.  
 
 
   l’oreille est une feuille de chou et tout ce qui  
la frappe rompt le silence, de la nature si grand, 
des forêts effrayant et de la nuit doux, Silence. 
Les arbres. L’ombre. Clairière. Silence,
celui 
des aubépines aussi et des étoiles fixes, la frappe 
et la met en mouvement et c’est alors le début 
de mille changements, un chemin sonore où l’œil 
rivalise avec l’oreille. Des bruits si variés qu’on doit 
débrouiller et beaucoup de choses à déchiffrer 
une à une comme une statue par exemple tombée 
du ciel sans un son ou trouvée dans un buisson, 
un mort vivant les yeux vides, la bouche cousue 
et sans expression mais qui va à pas comptés 
d’un point à l’autre, une expérience muette 
et sans lendemain. Car quoi de plus incomplet 
que le silence, il n’y en a ni entre les bruits 
ni là où l’on croit, rien de plus trompeur qu’une 
évidence, une belle illusion acoustique où on 
entend des voix, celle du milieu qui impose sa loi,  
celle de la raison, blanche ou des airs, le soir 
tombait, un caillou, un hanneton, une mouche, la terre
 
 
./ 
 
   c’est une image pour une autre, un drôle 
de mélange où s’échangent le bas et le haut 
une forme et la suivante, des pièces détachées 
que l’œil parcourt perdu entre les bords et les lignes, 
les taches et tous les traits, suit un pli jusqu’au 
prochain, un arrangement si varié que chacune fait 
son jeu à sa guise, plus les rythmes en grand 
nombre, un vrai petit monde en soi. Mais dans 
ce tas mal entassé flottant comme un orage 
de matière, entre les faits mal dessinés, on peut 
deviner une figure à la dérive, ça pourrait être 
un paysage du nord au XVIIe, une étonnante scène 
de genre, un brutal épisode climatique ou bien deux 
hommes considérant des vérités mathématiques, 
qu’il s’agit de refaire morceau par morceau, sortir 
de cet imbroglio, buissons ici et buissons là,  
une main ici et une oreille là. Un passe-temps 
et une folie pour ordonner un chaos à plusieurs 
dimensions, des cubes, des sphères et d’autres 
formats, les choses en cercle autour de soi et au bout 
des doigts et l’œil mosaïque de la mouche en exemple 
 
./ 
 
   on n’y voit goutte et pourtant tout brillait au soleil, 
mais en noir, le noir des arbres, le noir de la terre, le noir 
des plantes, le tout était plutôt noir,
pareil à la série 
et inversement, ancien ou frais, le moineau si c’était 
un corbeau, le bâton bien repeint et le chat 
sans aucune marque, muet, immobile, et confondu 
comme à travers des verres foncés qui donneraient 
leur teinte au paysage en entier. Mais pas 
complétement car de noir absolu nulle trace 
même celui de jais ou de fumée ou l’obscurité 
qui vient du fond de l’eau, de l’ombre ou des trous 
profonds, plutôt grise, et des angles morts telles 
ces choses accrochées, des vanités associées 
par magie et folie et qui n’ont d’autre couleur 
que la nuit. Qui n’en reflètent aucun d’ailleurs, 
atone le décor et pas mal décolorée la scène 
à plusieurs, de genre et tournante à laquelle il faut 
revenir sans relâche pour essayer d’y voir un peu 
plus, un fait brutal et démultiplié qui pendait 
là à vue d’œil et à portée de main, aussi sombre 
que l’humeur.  
 
Suzanne Doppelt, Amusements de mécanique, sans pagination (ici les trois permières pages), P.O.L., 2014, 8,50€.  
 
Suzanne Doppelt dans Poezibao 
bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, ext. 3 


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