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une bourgeoise people devenue folle

Publié le 18 novembre 2014 par Dubruel

d'après MADAME HERMET de Maupassant

Les fous vivent dans un pays mystérieux

Où tout ce qu’ils ont fait,

Tout ce qu’ils ont aimé

Recommence pour eux

Dans une existence imaginée.

Pour eux, le vraisemblable disparait

Et le surnaturel devient familier.

Les fous m’attirent toujours.

Et je reviens vers eux, toujours.

Dans un asile que je visitais,

Un des infirmiers voulut me montrer

Un cas intéressant :

Une femme de plus de soixante ans,

Qui avait dû être fort belle, regardait

Son visage dans un miroir. L’infirmier

Lui a demandé :

-« Comment allez-vous, ce matin ? »

-« Pas bien, pas bien.

Les marques ont augmenté. »

-« Mais non, vous vous trompez. »

Elle s’était rapprochée de nous et murmurais :

-« Non, je viens de compter dix trous

Sur mon front et mes joues.

Je n’oserai plus me montrer.

Je suis perdue. Je suis défigurée. »

Et elle se mit à sangloter.

Fort étonné,

Je la contemplais,:

Elle n’avait rien ni sur la face,

Ni sur le front. Pas une trace.

-« Je vais, madame, tous les supprimer. »

Lui garantit l’infirmier. Il prit aussitôt

Une sorte de pinceau :

-« Laissez-moi faire, je vais les enlever. »

Il la toucha par petits coups légers.

-« Regardez, il n’y a plus rien. »

Elle prit la glace, se contempla

Et avoua :

-« En effet, je ne vois plus rien. »

Nous sommes sortis

Et l’infirmier me raconta ceci :

-« Elle s’appelle Mme Hermet.

Elle fut belle, coquette et admirée

Comme toutes les mondaines de son temps.

Puis elle devint veuve, avec un enfant.

Un jour, son fils, âgé de quinze ans,

Tomba malade et dût garder le lit.

L’on ne put déterminer sa maladie.

Son précepteur, un abbé,

Le veillait continument

Tandis que Mme Hermet

Prenait de ses nouvelles, matin et soir.

Le matin, elle entrait

Dans sa chambre, en peignoir,

Souriante, déjà toute parfumée,

Et demandait :

-« Eh bien ! Georget,

Allons-nous mieux ? »

-« Oui, petite mère, un peu mieux. »

Elle demeurait avec lui quelques instants

Puis soudain s’écriait :

-« Ah ! J’oubliais…un rendez-vous urgent. »

Et elle se sauvait.

Le soir, en robe décolletée,

Elle apparaissait, encore plus pressée.

Elle avait juste le temps de demander :

-« Eh bien,

Qu’a dit le médecin ? »

L’abbé répondait :

-« Il n’est pas encore fixé. »

Or un soir, l’abbé avoua :

-« Votre fils est atteint de syphilis. »

Elle se sauva

En poussant un grand cri.

Le lendemain, s’étant levé à midi

Elle demanda rapidement :

-« Comment

Va Georges aujourd’hui ? »

Puis elle sortit

Et ne rentra qu’à l’heure du dîner.

L’abbé l’attendait dans la salle à manger.

Dès qu’elle l’aperçut, elle s’est écriée :

-« Eh bien ? » -« Le docteur est fort inquiet. »

Elle se mit à pleurer

Et ne put rien manger

Tant elle se sentait tourmentée.

Sa domestique lui a confié :

-« Votre fils a geint toute la soirée. »

Une semaine après,

L’abbé lui annonçait :

-« Le médecin garde très peu d’espoir.

Georges désire vous voir. »

-« Mon Dieu ! Je n’ose pas !

J’ai trop peur. Non, je ne peux pas…

Le jeune homme agonisait.

Il avait tout compris, tout deviné.

Il dit à l’abbé : -« Que maman passe donc

Par le balcon.

Vous fermerez la baie vitrée.

Et puisque je ne puis l’embrasser,

Je lui dirai de loin au revoir. »

L’abbé retourna voir

Madame Hermet :

-« Vous ne risquerez rien puisqu’il y aura

Une vitre entre vous et lui. »

Elle accepta,

Fit trois pas sur le balcon, puis gémit :

-« Je n’oserais jamais. »

Georges, qui tenait

À voir sa mère

Une dernière fois encore,

L’attendit, les yeux tournés vers la fenêtre,

Ne prononçant plus aucune parole.

Le lendemain, il était mort.

Deux jours après, elle était folle.

Et depuis, elle prend

Et reprend

Son miroir ciselé

Pour déceler

L’odieux et tranquille ravage

Causé par le chagrin et l’âge. »


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