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Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer : le spectacle de Vincent Macaigne

Publié le 19 novembre 2014 par Marcel & Simone @MarceletSimone

© Samuel Rubio

© Samuel Rubio

En reprenant, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, puis en tournée en Province, son spectacle crée pour la première fois en 2009, Vincent Macaigne poursuit son questionnement sur le rapport au spectateur, envisagé ici comme composante à part entière du spectacle.

Une entrée en fanfare

Dès son arrivée sur le parvis du théâtre Nanterre-Amandiers, le spectateur est invité à prendre activement part à ce qui peut être considéré comme un prologue au spectacle. Deux comédiens armés de mégaphones appellent les spectateurs regroupés autour d'eux à les rejoindre dans une révolte contre l'administration du théâtre, qui a soit-disant refusé de distribuer des bières alcoolisées à l'occasion de l'anniversaire de la fille de l'un d'entre eux. Cette anecdote fait en réalité référence à l'Idiot, roman fleuve de Dostoïevski, publié en 1869, dont la situation de départ se déroule pendant la fête d'anniversaire de Nastassia Philippovna, fille du riche Totski, qui se trouve donc être l'un des deux personnages s'adressant à la foule. Le groupe de manifestants ainsi formé, scandant en cœur: « On veut d'la bière avec alcool ! » s'élance alors jusque dans les cuisines du bar du théâtre, ou dans les bureaux de l'administration.

De retour devant les portes de la salle, Totski invite alors la joyeuse farandole à entonner un « Joyeux Anniversaire » en l'honneur de sa fille. Tout du long, Macaigne est présent aux côtés de ses comédiens, leur murmurant à l'oreille des indications à transmettre aux spectateurs via les mégaphones. Le procédé de mise en scène est tout à fait clair et transparent, et le spectateur devient véritablement acteur, dirigé - via la voix de ses comédiens - par le metteur en scène lui-même.

L'entrée en salle se déroule alors dans une ambiance de boîte de nuit et les spectateurs, accueillis par deux membres de l'équipe technique distribuant des bières – les fameuses « sans alcool » - sont encouragés à monter sur le plateau pour y danser, torse nu de préférence, devant le rideau de fer baissé. Tandis qu'un groupe de jeunes – la moyenne d'age doit avoisiner 20 ans – se déhanche alors à moité nu à l'avant-scène, le reste des spectateurs rejoint leur siège, certains restant debout, d'autres s'asseyant sagement. Le personnage de Totski exhorte alors tous les jeunes gens à trouver une personne de plus de quarante ans pour la ramener danser sur scène.

Cette joyeuse pagaille – soigneusement orchestrée par Macaigne, et encadrée de près par les membres de l'équipe d'accueil – se prolonge jusqu'à ce qu'un comédien parmi la foule pointe un revolver sur sa tempe en hurlant. La musique s'arrête brutalement, le rideau de fer s'élève et dévoile la profondeur du plateau, sur lequel les comédiens s'engagent, tandis que les spectateurs présent sur scène s'y assoient, remplissant ainsi les deux côtés de l'espace scénique.

© Samuel Rubio

© Samuel Rubio

Le spectateur au cœur de l'histoire

Si le spectateur-acteur redevient alors simple spectateur, il n'en demeure pas moins sur le plateau, et cette présence constitue, dès le début du spectacle, un geste fort de la part de Macaigne dans sa volonté d'abolir la frontière entre scène et salle. Cette volonté est renforcée peu de temps après, de manière symétrique, puisque cette fois-ci ce sont les comédiens qui « entrent en scène », non pas sur le plateau, mais dans la salle. Cette forte présence des comédiens dans le public permet ainsi à Macaigne d'intégrer le spectateur à l'histoire qui se déroule non pas seulement devant, mais tout autour de lui.

Ce dernier est également très souvent pris à parti directement par les comédiens, et plus généralement, les nombreux monologues présent dans le spectacle sont souvent dit face public, en avant scène, ce qui a pour effet d'accentuer la sensation que le personnage s'adresse au public, même quand ses paroles sont destinées aux autres personnages présents sur scène. Cela a pour effet de créer des liens particulièrement forts entre les spectateurs et le spectacle, dont ils semblent participer de manière concrète.

Ces liens ci-tôt crées, Macaigne n'hésite cependant pas à jouer avec, renvoyant parfois brutalement le spectateur à sa simple condition, allant même jusqu'à le délaisser complètement en déplaçant l'action hors de la salle ou en jouant avec les conventions théâtrales – comme les saluts des comédiens – pour prendre le spectateur au piège, avec beaucoup d'ironie.

L'éveil des sens au service de la parole de Macaigne

C'est une véritable expérience sensorielle que Macaigne fait vivre au spectateur, comme en écho aux épreuves physiques et organiques vécues par les comédiens sur le plateau : musique assourdissante (des bouchons d'oreille sont même distribués à l'entrée) ; projecteurs dirigés plein face, aveuglant le spectateur ; odeur étouffante de la fumée. En stimulant ainsi les sens du spectateur, Macaigne parvient non seulement à imprégner en lui l'impacte de sa mise en scène spectaculaire, mais également à le garder en éveil afin qu'il soit plus réceptif à sa parole.

Comme il l'expliquait dans sa note d'intention : « L'enjeu n'est pas de « résumer » L'Idiot, mais de rendre sa force épique et littéraire, son mouvement, sa profusion (…). Dès lors, les mots ne seront plus nécessairement ceux de Dostoïevski, mais ils pourront être aussi ceux de Vincent Macaigne, ceux des acteurs ». Ainsi, le metteur en scène n'hésite pas à ouvrir une parenthèse au cours du spectacle pour s'exprimer à travers la parole du Prince Mychkine – l'Idiot en question.

A ce moment précis, toutes les lumières se rallument, les morts se relèvent, les techniciens viennent balayer la scène, ranger les accessoires, la réalité concrète de la représentation reprend ses droits sur le plateau, tandis que le Prince entame un long monologue au cours duquel il interpelle directement le public, insistant sur les liens unissant acteurs et spectateurs : « Si je parle, c'est parce que vous, vous me regardez. D'une façon si belle. La sincérité, ça vaut bien le geste, non ? ». Ce discours, maladroit mais sincère, fait alors écho au « SMS de Cologne », sorte de manifeste écrit par Macaigne en 2013 et repris largement sur les réseaux sociaux.

Si pour Shakespeare, la vie n'est qu' « un récit plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte et qui n'a pas de sens », l'Idiot de Macaigne a encore l'espoir d'être entendu. Tout le bruit et la fureur déchaînés sur le plateau et dans la salle, auxquels le spectateur a pleinement pris part, « c'est pour dire qu'on a été vivant, qu'on a existé ici et maintenant, à cette époque-là. Pour que l'on sache que l'on a pris la parole ». Voilà l'essence du théâtre de Vincent Macaigne.

Théâtre de la Ville, Paris

Du 1er au 12 Octobre

Friche de la Belle de Mai, Marseille

Du 17 au 19 Octobre

Théâtre des Amandiers, Nanterre

Du 4 au 14 Novembre

Le Lieu Unique, Nantes

Du 20 au 22 Novembre

Bonlieu, Scène nationale, Annecy

Du 26 au 27 Novembre

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Sources :

Note d'intention, Vincent Macaigne, 2008

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Idiot/ensavoirplus/idcontent/14549

Notes dramaturgiques sur l'adaptation de L'Idiot, Vincent Macaigne et Jean-Luc Vincent

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Idiot/ensavoirplus/idcontent/14550

The Tragedy of Macbeth, William Shakespeare (Trad. Yves Bonnefoy), éd. Folio, col. Folio Classique, 1995.


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