J’ai vu mon couteau à la télé !

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
C’est une pensée de Pascal, compensée par toute l’admiration qu’on a pour ce penseur hors normes.
Parce qu’en vérité, la chose est plus compliquée, y compris pour le plus fin des esprits.
Parce que la raison ne peut être limitée, elle se veut illimitée : sans limites. Elle veut tout mater.
Parcourir toute la chaine des raisons sans tolérer les chainons manquants. Pas d’énigme. Pas de mystère. Pas de saut dans le vide…
Elle veut tout comprendre, tout prendre. Parce que surenchérit Hegel : le réel est rationnel et le rationnel, réel. Rien ne peut lui échapper. Elle raisonne et arraisonne tout ce qui déraisonne !
Parce qu’il y a toujours une raison, c’est le fameux principe de raison suffisante, qui fait que rien ne se perd, rien ne se crée sans l’intervention de la raison, qui veut et peut tout assimiler, apprivoiser, dominer.
Vous aimez quelqu’un, un peu, beaucoup, à la folie, mais sans raison manifeste ou latente. Vous l’aimez parce que vous l’aimez… follement et à la folie.
Pascal a peut-être raison : le cœur a ses raisons que la raison ignore ou ne peut pas savoir.
Détrompez-vous objecte Freud, la raison ne déclarera jamais forfait. Ce qu’elle ne connaît pas, ce qu’elle ne peut pas connaître elle le fait être… elle l’invente. Ça s’appelle « une rationalisation ».
Trouver une raison à ce qui n’en a pas, pourvoir ce qui en est dépourvu : c’est tout son pouvoir.
C’est à mon sens la plus ingénieuse invention freudienne : les rationalisations de la raison, ses affabulations en quelque sorte. C’est toute la tyrannie du logos : tout ramener à la raison, pas de parole cachée, pas de secret. Tout ce qui est, doit paraître, comparaître et transparaître devant le tribunal de la raison qui sauve ou condamne.
La maxime est toute simple : on peut tout expliquer. Il suffit d’appliquer ou d’impliquer sa raison. Quitte à forcer le réel quand il fait le rebelle. Mon cœur ignore peut-être les raisons, mais moi, je les connais !
Au diable l’humilité, l’arrogance est de rigueur pour satisfaire sa curiosité… son désir de savoir, de tout savoir… pour asseoir son pouvoir.

Plus anecdotiquement : nous avons besoin de comprendre ce qui se passe. En saisir le sens. Déterminer la cause pour chaque chose : d’où elle vient et où elle veut en venir ?

Sur internet, s’est développé depuis quelques temps, une nouvelle race de rationalistes : les fameux « complotistes » qui se sont appropriés tous les domaines d’investigation pour rendre compte de tous les travestissements de la réalité et du coup ils ont fini par rendre suspecte, toute l’actualité.
Ils sont excellents dans l’art de l’interprétation :
Tout ce qui est, selon eux, ne paraît pas. Et tout ce qui paraît, n’est pas. C’est magique comme mise à mort de toute magie.
L’égorgé n’a pas été égorgé, c’est lui l’égorgeur, envoyé spécial du pouvoir impérial. Le couteau est un faux et le sang de la peinture à l’eau. Le cadreur est le cousin germain du responsable de l’AFP qui a une sœur à la rédaction de TF1. Les faits sont faits. Rien ne va plus !
Tout est passé au peigne fin : toute la géométrie qui est toujours variable selon eux.
Méfiance tout de même : si ça trouve la femme qui sera dans votre lit cette nuit, n’est pas la vôtre…