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comment est-il devenu accro à l'alcool?

Publié le 20 novembre 2014 par Dubruel

d'après LE ROSIER DE MADAME HUSSON de Maupassant

-« Tiens, me dit mon ami Fernay,

Voilà le rosier de Mme Husson. »

Surpris, je lui demandais :

-« Le rosier de Mme Husson,

Que veux-tu dire ? »

Fernay se mit à rire :

-« Oh ! À Gisors, ici,

C’est ainsi

Que les ivrognes sont nommés.

Cela vient d’un curieux évènement

Qui s’est passé

Dans le temps. »

-« Ton histoire, est-elle drôle ? »

-« Très drôle. »

-« Alors, raconte-la. » -« Volontiers.

Près de Gisors, voilà trente ans environ,

Une dame vertueuse qui s’appelait

Madame Husson.

S’occupait des bonnes œuvres.

Elle avait horreur

Du vice et de la luxure.

Âgée, petite, polie, l’air cérémonieux.

En fort bons termes avec le bon Dieu,

Représenté ici par l’abbé Desmazures.

Lui vint l’idée

D’élire une rosière. Elle s’en ouvrit au curé

Qui dressa une liste de candidates.

Mme Husson, avec sa voix aigue

Dit à sa vieille bonne, Marthe :

-« Pour l’attribution du prix de vertu,

Voici les noms des filles proposées

Par Monsieur le curé.

Tâche de savoir rapidement

Ce qu’on pense d’elles dans le pays. »

Quotidiennement,

Marthe recueillit

Tous les soupçons, tous les potins.

Et pour ne rien oublier,

Elle notait les résultats

Sur le livre des achats

Qu’elle remettait

À Mme Husson, chaque matin :

Pain quatre sous

Lait deux sous

Beurre huit sous

Malvina Levesque s’a dérangé

L’an dernier avec Arthur Bauget

Un gigot vingt-cinq sous

Sel un sou

Poivre un sou

Rosalie Vatinel

Qu’a été rencontré

Dans le bois des Pas-Montrés

Avec Césaire Penel

Par Mme Onésime Fortune,

Repasseuse, le 20 juillet à la brune.

Radis quatre sous

Oseille cinq sous

Joséphine Duroy

Qu’on croit

Qu’al a fauté nonobstant

Avec le fils Monet

Qu’est en service à Rouen

Même qu’il lui a donné un joli bonnet.

Marthe avait interrogé ses fournisseurs,

Les voisins et l’instituteur…

Il ne se trouva, dans le pays,

Pas une seule jeune personne à l’abri

D’une médisance. Mme Husson

Demeurait effarée, désespérée.

On élargit alors le cercle des perquisitions

Jusqu’aux villages des environs. Sans succès.

Marthe conseilla à sa maîtresse, un matin :

-« Si vous voulez

Couronner quelqu’un,

Je ne vois qu’Isidore

Dans toute la contrée.

Mme Husson connaissait bien Isidore,

Le fils de l’épicière,

Mme Feuillère.

Sa chasteté faisait la joie des habitants.

Il servait de thème plaisant

Aux conversations de la ville

Et d’amusement pour les filles

Qui s’égayaient à le taquiner.

Âgé de vingt ans à peine passés,

Il avait une peur maladive des jupons.

Les mots hardis,

Les gauloiseries,

Et les graveleuses allusions

Le faisaient si vite rougir qu’un agriculteur

L’a surnommé ’’thermomètre de la pudeur’’

Les filles s’amusaient à passer

Et repasser

Devant lui

En chuchotant des polissonneries.

Isidore était un cas notoire de vertu.

Dans les cafés, personne ne l’avait jamais vu.

Bref, c’était une perfection.

Cependant Mme Husson hésitait.

L’idée de substituer un rosier

À une rosière la troublait.

Elle se résolut à consulter le curé.

-« La vertu est éternelle.

Que vous importe qu’elle soit mâle ou femelle !

Elle n’a pas de sexe, la vertu.

Et c’est bien la vertu

Que vous voulez récompenser. »

Le maire aussi approuva tout à fait :

-« C’est là un bel exemple pour Gisors

Et pour tout le pays.

Nous ferons une belle cérémonie.

Et dans un an, si nous trouvons une femme

Aussi digne qu’Isidore,

Nous couronnerons une femme. »

Prévenu, Isidore

Rougit fort

Mais semblait content.

Le couronnement

Fut fixé au samedi

15 août, fête de la Vierge Marie

Et de l’empereur Napoléon.

Par une naturelle évolution

Dans l’esprit du public, la vertu du Rosier

Devint enviée

Depuis qu’on savait

Qu’elle devait

Rapporter à Isidore

500 francs or

…Et une montagne de considérations.

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Toutes les rues étaient pavoisées.

On avait jeté

Des fleurs tout le long

Du parcours du cortège.

La clique en uniforme beige

A commencé par jouer un petit air

Sous les fenêtres

Du Rosier qui apparut

Tout vêtu

De coutil blanc.

Puis Mme Husson prit son bras dignement

Le maire se plaça à la gauche du Rosier.

Les tambours battaient.

Le cortège se mit en marche.

On passa sous des arches

Fleuries et joliment décorées.

Quand on arriva sur le site du banquet.

Le maire fit un discours si émouvant.

Que le Rosier sanglota d’attendrissement.

L’édile remit à Isidore une bourse de soie

Où sonnait l’or,

Les cinq cent francs en or !

Et prononça d’une solennelle voix :

-« Hommage, gloire et richesse à la vertu. »

Mme Husson, fortement émue,

S’essuyait les yeux. Le banquet fut servi.

Isidore buvait et mangeait,

Comme s’il n’avait jamais ni bu ni mangé.

Les toasts furent nombreux et très applaudis.

La fête se termina tard dans la soirée.

Le Rosier fut laissé chez sa mère,

L’épicière,

Mais elle n’était pas rentrée.

Alors, Isidore resta

Dans la boutique tout seul.

Agité par le vin et l’orgueil

Et affolé de joie, il dansa

Et tira de sa poche les 500 francs.

Quelle fortune, 500 francs !

Qui pourrait dire son combat

Entre le mal et le bien

Et contre les tentations que lui jeta

Satan, le Malin ?

Isidore prit son chapeau, sortit

Et disparut dans la nuit.

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On le chercha.

On ne le découvrit pas.

On redouta un accident

Ou un enlèvement.

On prévint la gendarmerie.

Elle ne le trouva pas.

Or, le surlendemain, quand passa

La diligence revenant de Paris,

On apprit qu’Isidore y était monté,

Qu’il avait payé

Et qu’il était descendu à Pigalle.

À Gisors, l’émotion devint considérable.

Une semaine après,

Au coin de sa rue, le médecin découvrait

Un individu qui dormait.

C’était le Rosier.

Il voulut le réveiller

Mais ne put y parvenir.

Le médecin alla quérir

De l’aide afin de le porter

Jusqu’à la pharmacie.

Le jeune homme était abruti

Par huit jours de soûlerie.

Son beau costume de coutil

Etait devenu une loque grise, graisseuse,

Déchiquetée, ignoble, fangeuse

Et sa personne sentait fort mauvais.

Il fut lavé et sermonné.

Isidore resta enfermé chez lui

Pendant quatre jours. Quand il sortit,

Honteux et repentant.

Il allait la tête basse, les yeux fuyants.

On le perdit de vue à la sortie du pays.

Deux heures plus tard, il était ivre,

Complétement ivre.

Chassé par sa mère, il fut employé

Comme charretier

Dans une entreprise de charbon.

Depuis cette aventure bizarre,

On surnomme ici tout pochard :

’’ Le Rosier de Mme Husson.’’


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