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un assassin acquitté

Publié le 23 novembre 2014 par Dubruel

d'après L’ASSASSIN de Maupassant

Un jeune avocat

Défendait un coupable. Il plaida :

« Messieurs les jurés,

Certes, ils sont indéniables, les faits.

Mais mon client est un bon garçon.

Il a assassiné son patron

Dans un mouvement de colère.

Voulez-vous, s’il vous plait,

Me permettre de faire

L’analyse de ce crime sans rien atténuer,

Sans rien excuser,

Ensuite, vous délibérerez et vous le jugerez.

Les parents de Jean-Marie Mathis

Sont des personnes très honorables.

Ils ont fait de leur fils

Un homme respectable.

Là est son crime : le respect !

C’est un sentiment, messieurs les jurés,

Que nous ne connaissons plus

Et dont la puissance a disparu.

Il faut entrer

Dans des familles arriérées

Pour trouver cette tradition,

Cette véritable religion.

Seul un honnête homme est respectueux.

Celui qui a le sens

Du respect a les yeux fermés.

Nous tous, présents dans ce Palais,

Dans cet égout de la société, nous avons les yeux

Fixés sur toutes les infamies

Qui viennent échouer ici.

Nous sommes les défenseurs.

De toutes les gredineries,

Celles des princes comme celles des rôdeurs,

Nous, qui mesurons notre sympathie

À la grandeur du forfait,

Nous ne pouvons plus être respectueux.

Nous voyons trop la corruption attestée,

Qui va des chefs de gouvernement

Aux derniers des gueux.

Nous savons trop comment

Tout se passe. Comment

Tout se donne, comment tout se vend :

Places, fonctions, honneurs,…tout naturellement,

En échange d’un peu d’argent,

De titres de société,

Ou d’un simple baiser.

Or la religion du respect peut devenir

Rapidement celle du martyr.

Maintenant, voici

Quelle fut la vie de Jean-Marie.

Il fut élevé

Comme on élevait

Autrefois les enfants :

En faisant

Deux parts des actes humains :

Ce qui est mal et ce qui est bien.

Jean-Marie a grandi, religieux et confiant.

À vingt-deux ans,

Il épousait sa cousine, élevée comme lui,

Simple comme lui, pure comme lui

Quelque temps avant son mariage,

Il est entré comme caissier

Chez M. Langlais

Récemment assassiné par lui.

Nous savons par les nombreux témoignages

De Mme Langlais, de son frère M. Perthuis,

L’associé de son mari,

Et de tous les salariés de la société

Que Jean-Marie

Était un employé parfait,

Un modèle de probité,

De déférence et de régularité.

Il était traité avec considération.

Sa femme, atteinte d’un cancer aux poumons,

Meurt subitement.

Il en ressent

Une profonde douleur,

Une douleur

Froide et calme du cœur.

C’est seulement à la pâleur

De son teint et à l’altération de ses traits

Qu’on vit jusqu’à quel point il était blessé.

Cet homme habitué

À avoir une femme à son côté,

À connaître cette caresse tantôt sensuelle

Tantôt maternelle.

Conserva au fond de son cœur

Et au fond de sa chair

Le besoin irrésistible du cœur

Et de la chair.

La solitude lui pesait.

Alors, il devint l’habitué d’un café

Où trônait au comptoir une jeune caissière,

Une petite blonde charmante,

Gracieuse et prévenante.

Bientôt, ils causèrent.

Puis ils prirent l’habitude de passer

Ensemble leurs soirées.

Et Jean-Marie s’est attaché.

La petite, qui était rusée,

Chercha une façon

De le gruger.

La meilleure était de l’épouser.

Elle y parvint rapidement.

Et au bout d’un an,

Cette gueuse séduisit le fils du patron

De son mari,

Un jeune homme de dix-neuf ans.

M. Langlais-père alerta Jean-Marie

Immédiatement.

Son crime, je vais vous en faire le récit.

Je le tiens des lèvres de M. Langlais.

Voici ce qu’il m’a appris

Peu avant son décès :

’’ En guise de ‘remerciement’, mon fils

Venait de donner à la femme de Mathis

La somme de dix mille francs.

J’ai dit à Jean-Marie :

’’ Je me vois obligé

De procéder

À votre licenciement.’’

Il m’en demanda les raisons.

Mais je ne pouvais pas, bien entendu,

Lui donner les explications

Qu’il voulait

À moins de lui révéler

La trahison de sa femme. Il a donc cru

Que je l’accusais

D’un vol ou d’un grave méfait.

Il haussa le ton

Avec un tel degré d’exaspération

Que j’ai craint des voies de fait.

Je lui ai donc avoué la vérité.

Alors, il prit sur mon bureau le coupe-papier,

A levé le bras et m’a poignardé.’’

Messieurs les jurés, voici

De ce meurtre le complet récit.

Que dire de plus ? Mathis a respecté

Sa seconde femme avec aveuglement

Comme il avait respecté

La première, naturellement

Avec sincérité, amour et raison. »

Après une courte délibération,

Un non-lieu fut prononcé

Le prévenu fut acquitté.


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